Que deviennent les tonnes de vêtements jamais portés en France ?

En France, on achète trop, tout en s’en voulant. Près d’un consommateur sur cinq admet ses excès, tandis que les penderies continuent de déborder. Un paradoxe qui dépasse largement la simple question du style.

Au-delà des chiffres, c’est notre rapport au vêtement qui doit évoluer.
Au-delà des chiffres, c’est notre rapport au vêtement qui doit évoluer.

Selon l’ADEME, plus de la moitié des vêtements possédés par les Français ne sont jamais portés, ce qui représente environ 120 millions de pièces neuves. Un paradoxe qui traduit une forme d’aveuglement collectif. En moyenne, chaque Français déclare posséder 79 vêtements, mais lorsqu’on vérifie les armoires, le chiffre réel grimpe à 175 pièces par personne. La différence est colossale et traduit une sous-estimation inconsciente de notre surconsommation.

Et pourtant, rares sont ceux qui se sentent concernés. À peine 19 % des Français reconnaissent acheter en excès, et seulement 35 % estiment posséder plus que nécessaire. Pendant ce temps, nous continuons d’acquérir en moyenne 42 nouvelles pièces par an, jusqu’à remplir nos placards de vêtements qui, pour beaucoup, ne verront jamais le jour.

La machine infernale : fast fashion

Cette accumulation s’inscrit dans un système où l’offre démultiplie les occasions de consommer. En 2024, 3,5 milliards de vêtements ont été vendus en France, soit l’équivalent de 10 millions de pièces achetées chaque jour.

Ce flot continu est alimenté par la fast fashion, mais aussi par sa version dite « ultra » incarnée par Shein et Temu, qui poussent le modèle à l’extrême avec des prix dérisoires et un renouvellement constant des collections.

La conséquence est directe : acheter devient un geste banal, presque impulsif, souvent déconnecté de l’usage réel. L’industrie textile, déjà responsable de 4 à 8 % des émissions mondiales de GES, voit son empreinte aggravée par ces vêtements jamais portés. Car un habit inutilisé concentre malgré tout tout son impact environnemental dans sa fabrication.

Que deviennent ces vêtements jamais portés ?

La réponse est moins flatteuse que ce que l’on pourrait espérer. En France, la collecte reste faible : en 2020, seulement 39 % des textiles mis sur le marché ont été collectés. Le reste finit souvent à la poubelle, incinéré ou enfoui.

Lorsqu’ils sont collectés, le tri oriente les vêtements vers différentes filières. L’expérience du Relais, acteur majeur du recyclage solidaire, montre que seule une infime minorité est revendue en boutique, environ 6 %.

Plus de la moitié part à l’export, principalement vers l’Afrique. Mais ces débouchés s’essoufflent : les marchés locaux, saturés, se tournent de plus en plus vers des vêtements neufs venus d’Asie, encore moins chers que la seconde main importée. Ce blocage entraîne un embouteillage mondial du textile, qui pousse inévitablement une part croissante des habits à finir en fumée ou sous terre.

Une autre fraction est recyclée, mais là encore en quantités limitées. Environ un quart est transformé en isolants ou en matériaux pour le bâtiment, 10 % deviennent des chiffons industriels, et près de 3 % sont directement détruits. Certains vêtements sont effectivement détournés de la benne pour prolonger leur vie sous d’autres formes, mais le volume global reste écrasant.

La seconde main : fausse solution ?

Face à ce constat, beaucoup se tournent vers la seconde main. Les plateformes en ligne, au premier rang desquelles Vinted, ont démocratisé l’achat d’occasion à une échelle sans précédent. Elles concentrent aujourd’hui 90 % des transactions en ligne de vêtements de seconde main.

Ce succès pourrait laisser croire à une solution idéale. Pourtant, les études de l’Ademe révèlent une réalité plus ambivalente. Les vêtements mis en vente sur ces plateformes n’ont souvent été portés que 20 à 30 % de leur durée de vie normale, preuve que la rotation s’accélère sans forcément prolonger l’usage réel des pièces.

De plus, dans la moitié des cas, l’argent gagné grâce à la revente sert immédiatement à acheter d’autres habits. Le cycle de la consommation reste donc intact, simplement déplacé vers un autre canal.

Vers un modèle plus sobre et circulaire ?

La France tente de réagir. Après l’interdiction de la destruction des invendus par la loi « Anti-Gaspillage pour une Économie Circulaire (AGEC) », le Sénat a voté en juin 2025 une loi « anti fast fashion » destinée à freiner l’inondation du marché par des produits ultra bon marché. Ces mesures marquent un pas, mais elles restent insuffisantes au regard de l’ampleur du problème.

En fait, au-delà du tri, du recyclage et des nouvelles lois, la clé réside dans notre rapport aux vêtements. Aujourd’hui, ils ne répondent plus seulement à un besoin fonctionnel : ils véhiculent identité, appartenance sociale et désir de distinction, alimentés par des stratégies marketing toujours plus agressives. Tant que ces mécanismes psychologiques et commerciaux ne seront pas remis en question, la surconsommation continuera d’exploser, au détriment du climat et des ressources.

Repenser notre manière de consommer les vêtements, c’est privilégier la qualité durable à la quantité jetable, donner un véritable sens au réemploi. C’est aussi retrouver une sobriété choisie, où chaque habit porté davantage devient un petit acte de résistance face à l’emballement consumériste…Tout un modèle de société à réinventer.

Références de l'article

Pierre G. (2025, 3 septembre). Surconsommation de vêtements : pourquoi la garde-robe des Français déborde. The Conversation.

Assemblée nationale. (2025, juin). Proposition de loi visant à réduire l'impact environnemental de l'industrie textile.