Face à la pollution, faut-il interdire le tourisme en Antarctique ?

D'après une étude récente parue dans Nature Sustainability, le tourisme en Antarctique attire désormais plus de 120 000 personnes par an, soit six fois plus qu'il y a 20 ans. Un chiffre extrêmement inquiétant au regard des conséquences du surtourisme sur le continent blanc à l'échelle de la planète.

Les manchots à jugulaires, emblèmes de l'Antarctique, sont de plus en plus dérangés par les croisiéristes.
Les manchots à jugulaires, emblèmes de l'Antarctique, sont de plus en plus dérangés par les croisiéristes.

Longtemps considéré comme un sanctuaire de nature vierge, l'Antarctique est désormais pris dans la spirale du surtourisme. En vingt ans, la fréquentation touristique est passée de 20 000 à 120 000 visiteurs annuels. Pourtant, les scientifiques ne cessent d'alerter sur l’état de ce continent fragile : pollution aux métaux lourds, fonte accélérée, risques écologiques majeurs.

Ce qui n'empêche pas les croisières de luxe de se multiplier, alimentant une pression humaine qui, à long terme, pourrait avoir de graves conséquences sur des phénomènes globaux comme la montée des océans. Au point que la question se pose : faut-il interdire purement et simplement le tourisme en Antarctique ?

La conquête du continent blanc par les croisiéristes de luxe

L'étude parue dans Nature Sustainability révèle une tendance lourde : la conquête touristique de la dernière région inhabitable. Si les expéditions scientifiques restent présentes, les croisières touristiques, elles, se multiplient. À bord de navires de luxe, les passagers débarquent pour quelques heures afin de vivre une expérience « unique » — au prix d’un déséquilibre croissant de l’écosystème.

« L’augmentation de la présence humaine en Antarctique suscite des préoccupations concernant les polluants issus de la combustion des véhicules, notamment les particules contenant du chrome, du nickel, du cuivre, du zinc et du plomb », précise l’étude. Des particules qui participent à l’accélération de la fonte des glaces. En modifiant la pureté de la surface neigeuse, elles en réduisent la capacité à réfléchir la lumière solaire : c’est le mécanisme de l’albédo. Résultat : une neige sale fond plus vite, accélérant localement le réchauffement.

Un seul touriste peut contribuer à accélérer la fonte d’environ 100 tonnes de neige

« Un seul touriste peut contribuer à accélérer la fonte d’environ 100 tonnes de neige », explique à l’Agence France-Presse Raul Cordero, scientifique de l’université de Groningue aux Pays-Bas et coauteur de l’étude. Multiplié par 120 000, le calcul devient vertigineux.

Le navire de croisière Seabourn Pursuit dans la baie de Port Charcot, sur l'île Booth.
Le navire de croisière Seabourn Pursuit dans la baie de Port Charcot, sur l'île Booth.

Malaise dans la communauté scientifique

Cette fonte n’est pas un phénomène isolé. L’Antarctique perd en moyenne 135 milliards de tonnes de glace par an. Ce recul a des conséquences planétaires : dérèglement des courants océaniques, hausse du niveau des mers, disparition d’écosystèmes. Pourtant, cette réalité reste largement ignorée du grand public. L’empreinte touristique est minimisée par l’image d’un tourisme « respectueux », quand les données scientifiques racontent une toute autre histoire. Ce décalage nourrit un malaise grandissant dans la communauté scientifique.

Le tourisme n’apporte pas seulement une pression physique sur les sols gelés ou une pollution de l’air : il introduit également des risques biologiques majeurs. En débarquant, les visiteurs transportent des micro-organismes, des spores, des graines. Ce flux biologique, sur un continent jusqu’ici isolé du reste du monde, pourrait introduire des espèces invasives, modifier les équilibres locaux et menacer la faune antarctique, déjà vulnérable. Les manchots, phoques, oiseaux marins sont confrontés à un dérangement constant, souvent réduit à une anecdote touristique ou une photo Instagram.

Certaines scènes relayées sur les réseaux sociaux — baignades dans les eaux glacées, selfies à quelques centimètres des manchots, cérémonies privées sur la glace — révèlent une banalisation préoccupante de ces pratiques.

L'absence de cadre réglementaire international

Or, les mécanismes de contrôle sont quasiment inexistants. L’Association internationale des tour-opérateurs en Antarctique (IAATO) émet des recommandations, sans pouvoir coercitif. L’absence d’institutions de régulation contraignantes laisse le champ libre aux entreprises, qui communiquent sur leur « neutralité carbone » tout en ignorant les effets écologiques profonds de leur présence.

Les réglementations restent trop peu contraignantes, malgré quelques évolutions comme l’interdiction du fioul lourd. La logistique repose souvent sur des navires hybrides, mais les carburants fossiles sont encore largement utilisés. L’absence d’un cadre international fort face à cette poussée touristique questionne. Surtout lorsqu’on sait que l’Antarctique n’a aucun statut d’État et relève d’un traité international qui ne prévoit pas explicitement de plafonnement du tourisme. La multiplication des opérateurs privés accélère cette dynamique. La logique de profit semble primer sur la précaution. Le tourisme antarctique reste peu débattu dans les instances politiques mondiales, alors même qu’il engage la stabilité climatique globale.

Références

Appel à la régulation du tourisme en Antarctique face à une pollution inquiétante, Vincent Mabire, le 1er septembre 2025

120 000 visiteurs par an : le surtourisme accable l’Antarctique, Reporterre, 22 août 2025