La Banque mondiale rouvre les vannes du nucléaire : les SMR d’EDF sauront-ils convaincre à l'international ?
Avec la levée du bannissement du nucléaire par la Banque mondiale, la voie s’ouvre pour une nouvelle ère énergétique. Les petits réacteurs français comme Nuward pourraient-ils bien devenir des acteurs clés de la transition dans les pays émergents ?

C’est un virage énergétique majeur, passé presque inaperçu du grand public.Depuis 1959, la Banque mondiale n’avait plus financé aucun projet nucléaire. En 2013, elle officialisait même une interdiction, largement soutenue par des pays comme l’Allemagne, au nom des risques d’accidents dans des États peu expérimentés. Pourtant, en mai 2025, le conseil d’administration de la Banque a mis fin à cette position, dans un contexte où la lutte contre les émissions fossiles devient urgente.
Un revirement historique ?
C’est une première depuis des décennies, marquées par le traumatisme de Fukushima en 2011, qui avait gelé de nombreux programmes dans le monde. L’annonce a été faite discrètement, via un courriel interne adressé par le président de l’institution, Ajay Banga, à l’ensemble du personnel.
Cette ouverture intervient alors qu'une vingtaine de pays dont la France ont signé un engagement à tripler la capacité nucléaire mondiale d’ici 2050, lors de la COP28. Le nucléaire y est vu non plus comme un danger, mais comme un allié incontournable pour décarboner l’industrie et produire une électricité stable, surtout dans les régions dépendantes du charbon.
La Banque mondiale s’engage à soutenir non seulement le prolongement des réacteurs existants et la modernisation des réseaux, mais aussi à "accélérer le potentiel des petits réacteurs modulaires (PRM) qui offriront une option viable à plus de pays à long terme », peut-on lire dans ce message. Un partenariat est également prévu avec l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), avec l’objectif affiché de connecter plus de 300 millions de personnes aux réseaux électriques dans les dix prochaines années.
Le retour des PRM
La France n’a pas attendu pour se positionner. Le projet Nuward, lancé en 2019 par EDF, CEA, Naval Group et TechnicAtome, repose sur deux réacteurs à eau pressurisée de 170 MWe, pour une puissance totale de 340 à 400 MWe.
L'objectif est de remplacer les vieilles centrales à charbon ou à fioul dans les pays en transition, mais aussi produire de l’hydrogène, alimenter des réseaux de chaleur urbains ou encore dessaler l’eau de mer.

Ce type de réacteur, par sa modularité, sa préfabrication et sa compacité, vise à réduire drastiquement les délais et les coûts de construction.
Vers un modèle compétitif modulaire et exportable ?
En juillet 2024, EDF a ajusté le design du Nuward pour répondre aux attentes concrètes des industriels européens, privilégiant des technologies éprouvées pour sécuriser délais et budgets. Le but, c'est de finaliser la conception d’ici mi-2026, pour une commercialisation dans les années 2030.
Par rapport à des concurrents comme les modèles russes ou chinois, le Nuward mise sur la transparence, la sécurité et une chaîne d’approvisionnement ouverte. Julien Garrel, nouveau président de Nuward, parle d’un projet “simple, modulaire, préfabriqué”, avec jusqu’à 100 MW thermiques en cogénération. Des atouts clés pour séduire les pays qui veulent éviter un alignement géopolitique trop marqué.
Une opportunité pour les pays émergents ?
De nombreux États du Sud, le Vietnam ou l’Indonésie, cherchent à sortir du charbon, sans pour autant dépendre d’un seul fournisseur nucléaire. Or, jusqu’ici, ils se tournaient principalement vers la Russie ou la Chine, qui proposent des “formules tout-en-un” incluant combustible, financement, construction… mais souvent assorties de contrats contraignants sur sur 30 à 40 ans.
Avec le soutien de la Banque mondiale, une alternative devient enfin possible. D’après l’Energy for Growth Hub, près de 20 pays seraient techniquement prêts à lancer des projets nucléaires d’ici 2030. Et pour beaucoup d’entre eux, le PRM devient la solution idéale : plus souple, moins cher qu’une centrale classique, et plus adapté aux besoins locaux.
Lobbying ?
Ce revirement s’explique aussi par un intense lobbying mené en coulisses depuis deux ans, selon Teva Meyer, spécialiste de géopolitique du nucléaire à l’IRIS. Des pays comme les États-Unis, qui est d'ailleurs le premier actionnaire de la BM, la France, la Corée du Sud, la Pologne ou la République tchèque ont activement plaidé pour un soutien au nucléaire. L’Allemagne, quant à elle, a levé son opposition depuis l’arrivée au pouvoir du chancelier Friedrich Merz, plus ouvert à l’atome civil.
La Banque mondiale n'a pas soutenu de projet nucléaire depuis 1959, en raison de l'opposition de Berlin. Mais le vent tourne et le président de la Banque mondiale a déclaré mercredi que la Banque allait « réintégrer le secteur de l'énergie nucléaire » en partenariat avec l'Agence pic.twitter.com/SLHJlHlOd4
— Documentaire et Vérité (@DocuVerite) June 12, 2025
Il est important de noter que cette décision ne signifie pas un désaveu des énergies renouvelables. Selon Meyer, le nucléaire est plutôt vu comme la "deuxième jambe" d’un mix énergétique équilibré, soutenu parallèlement par la Banque mondiale.
Un marché international à conquérir !
Le retour de la Banque mondiale change la donne. Avec un financement multilatéral neutre, des pays comme le Ghana, engagé depuis les années 60 dans une politique nucléaire freinée par la géopolitique, peuvent enfin espérer avancer sans devoir choisir un camp.
Nuward pourrait alors devenir une alternative européenne stratégique, à condition de rester compétitif face à ses concurrents. EDF mise sur une technologie éprouvée, simple et sécurisée, pour séduire les États qui cherchent à sortir du charbon sans entrer dans un engrenage de dépendance.
En l’absence de montant précisé, l’annonce de la Banque mondiale agit surtout comme un signal politique fort pour rassurer les investisseurs. En effet, selon l’AIE, les coûts de financement du nucléaire peuvent parfois atteindre 50 % du montant total, en raison du risque perçu. Les banques sont frileuses. La prise de position de la BM pourrait contribuer à faire baisser ces taux, notamment pour les technologies éprouvées comme celles du Nuward ou de Westinghouse, le géant américain du secteur.
La Corée du Sud, dont le nucléaire représente 30 % du mix énergétique, avance elle aussi ses pions, avec KHNP, son champion national. En 2024, ce dernier a remporté un contrat face à EDF en République tchèque. Mais dans ce nouveau contexte, la France pourrait regagner du terrain.
Pour le moment, rien n’est encore gagné. Les PRM (SMR en anglais) n’ont pas encore fait leurs preuves à grande échelle, et le défi sera autant économique que politique. La levée du bannissement par la Banque mondiale ne garantit pas automatiquement des financements, mais elle ouvre la porte.
La crédibilité de la filière nucléaire dépendra de sa capacité à livrer des projets sûrs, rapides et abordables. Le nucléaire, longtemps perçu comme une énergie du passé, pourrait bien, dans sa version miniature, devenir l’une des clés énergétiques du futur.
Sources de l'article
World Nuclear News. (2025, 07 janvier). EDF simplifies Nuward SMR design.
The New York Times. (2025, 05 juin). World Bank ends its ban on funding nuclear power projects.
Viviani, M. (2025, 12 juin). Le message caché de la Banque mondiale derrière son annonce sur le nucléaire.