Climat : la politique française est-elle un modèle ou un contre-exemple ?
Malgré une société préoccupée, la France décroche de ses objectifs climatiques. Entre reculs politiques et inaction, le Haut Conseil pour le Climat alerte sur un « complet décalage » de l’Hexagone, symbole d’un fossé croissant entre volonté citoyenne et inertie gouvernementale.

À quelques semaines de la COP30 au Brésil, le contraste mondial n’a jamais été aussi saisissant. Les pays du Sud, pourtant les plus vulnérables face aux dérèglements climatiques, se révèlent aujourd’hui les plus engagés, représentant la majorité des nations ayant déjà soumis leurs contributions déterminées au niveau national (CDN). Pendant ce temps, les grandes puissances traînent des pieds.
Aux Nations unies, Donald Trump a récemment qualifié le changement climatique de « plus grande escroquerie de l’Histoire » tout en vantant le « charbon propre ». Quant à l’Europe, elle s’enlise dans les compromis et les hésitations, incapable d’affirmer un leadership clair.
Le dérapage français
Le Haut Conseil pour le climat (HCC), dans son rapport de juillet 2025, tire une nouvelle fois la sonnette d’alarme : la politique française est en « complet décalage » avec les objectifs de neutralité carbone. En 2024, les émissions ont reculé de seulement 1,8 %, contre 6,7 % l’année précédente. Pour respecter l’engagement européen de –55 % d’ici 2030, il faudrait doubler le rythme actuel.
Encore plus révélateur, à peine 30 % de cette baisse proviendrait des politiques publiques, le reste résultant de facteurs conjoncturels : hiver doux, recours accru à l’hydroélectricité. Autrement dit, la baisse d’émissions tient davantage à la météo qu’à l’action politique. Le HCC y voit la preuve d’une procrastination gouvernementale et d’une gouvernance « fragilisée ».
Le HCC identifie deux failles majeures : les retards structurels et les reculs politiques. Les premiers concernent les grands textes stratégiques : la Stratégie nationale bas carbone (SNBC), la Programmation pluriannuelle de l’énergie et le Plan national d’adaptation accusent des années de retard. La loi de programmation énergie-climat, promise pour 2023, n’a jamais vu le jour.
Les reculs, eux, se sont multipliés : suspension de MaPrimeRénov’, abandon de mesures populaires, sous-financement chronique. Ces volte-face nourrissent une instabilité jugée « catastrophique » par le HCC.
Les deux poids lourds de l'immobilisme
Les transports (34 % des émissions nationales) et l’agriculture (21 %) concentrent à eux seuls plus de la moitié des émissions françaises. Dans les transports, malgré la progression de l’électrification, les émissions stagnent, freinées par une hausse du trafic routier. Le rythme de baisse devrait être multiplié par quatre pour tenir la trajectoire 2030.
Le constat est similaire pour l’agriculture, dont la réduction d’émissions plafonne à –0,5 %. Au lieu de favoriser une transition agroécologique, les récentes lois d’orientation agricole confortent des modèles intensifs, verrouillant la dépendance aux énergies fossiles. Le HCC déplore également des décisions contraires aux engagements : projets autoroutiers, refus de taxer sérieusement l’aviation, affaiblissement du bonus écologique. En somme, une politique « à rebours des enjeux ».
Une société lucide mais en quête de justice
Paradoxalement, la population française reste massivement préoccupée. Selon le baromètre SDES–Sciences Po, 83 % des citoyens jugent urgent d’agir face au changement climatique. Les catastrophes naturelles dépassent désormais le climat lui-même parmi les principales inquiétudes. Plus de la moitié des Français disent déjà ressentir les effets du réchauffement dans leur vie quotidienne.
Pourtant, la perception des politiques publiques s’est nuancée : la part de ceux estimant qu’elles « ne vont pas assez loin » baisse de 42 % à 29 %, tandis que les plus hostiles reculent aussi. Loin d’un rejet, c’est une demande d’équilibre qui s’exprime : efficacité, équité et clarté.
L’étude du Conseil d’analyse économique (CAE) le confirme : les Français soutiennent les mesures climatiques si elles sont efficaces et socialement justes. Les subventions vertes, investissements publics et transports collectifs sont plébiscités, contrairement aux taxes carbones ou aux interdictions brutales. Près de 67 % craignent un impact sur leur pouvoir d’achat, mais plus d’un sur deux accepte des sacrifices pour l’environnement.
COP30 : le moment de sursaut ?
La COP30, qui se tiendra du 10 au 21 novembre 2025, représente une opportunité stratégique pour la France. Avec une société prête à agir, mais des politiques encore fragiles, le pays doit transformer son retard en moteur de crédibilité internationale. Renforcer les investissements dans les transports propres, l’agroécologie, les infrastructures vertes et la rénovation énergétique, tout en maintenant la fin des ventes de véhicules thermiques en 2035, serait un signal fort.
Le HCC insiste sur un impératif : le courage politique doit l’emporter sur les lobbies et la procrastination. Sinon, la France risquerait non seulement de manquer ses objectifs nationaux, mais aussi de perdre toute influence lors des négociations climatiques mondiales.
Références de l'article
Ministères chargés de l’aménagement, du territoire, de la transition écologique (France). (juin 2025). Environnement et climat : opinions des Français en 2024 [PDF]. Service des données et études statistiques (SDES).
Louvet, B. (2025, 9 octobre). Climat : le monde à l’envers. Les Échos.
La Rédaction de Vie publique. (2022, 20 juillet). Politiques climatiques : quelle perception des Français ? Vie-publique.fr.