Biocarburants : la France se trompe-t-elle de solution face aux émissions de CO2 ?
Sont-ils vraiment une alternative verte ? Les biocarburants pourraient en réalité aggraver la crise climatique d'après le rapport de T&E. En France et ailleurs, ils émettent plus de CO₂ que les carburants fossiles, menacent l’eau, la biodiversité, la sécurité alimentaire mondiale.

Ils étaient censés être la solution miracle pour décarboner nos transports. Mais selon un rapport choc de l’ONG Transport & Environment (T&E), les biocarburants de première génération, issus de cultures comme le maïs, le colza ou la canne à sucre, émettent en moyenne 16 % de CO₂ de plus que les carburants fossiles qu’ils sont censés remplacer.
Cette surémission s’explique par un effet pervers : pour produire ces « carburants verts », il faut convertir des terres agricoles ou naturelles en cultures énergétiques. Cette conversion libère d’immenses quantités de carbone stockées dans les sols et la végétation. Une fois l’équation complète, l’empreinte carbone devient... plus lourde que celle du pétrole.
En 2023, près de 90 % de la production mondiale de biocarburants reposait encore sur des cultures alimentaires, selon les données de la Banque mondiale. À eux seuls, le maïs et la canne à sucre comptent pour la moitié de la production mondiale. Un paradoxe écologique et éthique quand 800 millions de personnes souffrent encore de la faim.
Des terres et de l'eau à perte de sens
Aujourd’hui, 32 millions d’hectares de terres sont utilisés pour produire des biocarburants, une superficie équivalente à celle de l’Italie. Et ce chiffre devrait bondir de 60 % d’ici 2030, pour atteindre 52 millions d’hectares, soit l’équivalent de la France. Si les biocarburants formaient un pays, ils deviendraient la sixième puissance agricole mondiale.
Mais à quel prix ? La production de ces carburants pompe aussi des quantités astronomiques d’eau. Pour parcourir 100 km en voiture à l’agrocarburant, il faut jusqu’à 3 000 litres d’eau, contre une vingtaine seulement pour produire l’électricité d’une voiture solaire. Une aberration dans un monde où les sécheresses s’intensifient et où chaque litre compte.

Le bilan environnemental ne s’arrête pas là : ces cultures énergétiques exigent de grandes quantités de pesticides et d’engrais azotés, ravageant les sols, polluant les nappes phréatiques et menaçant la biodiversité.
Une illusion verte soutenue par des intérêts puissants
Alors pourquoi persister ? Parce que les biocarburants profitent d’un double avantage fiscal en France, représentant 694 millions d’euros de subventions. Derrière ce soutien, des intérêts économiques puissants : la FNSEA, principal syndicat agricole français, s’oppose à toute réforme. Son président, Arnaud Rousseau, préside aussi le conseil d’administration du groupe Avril, leader français des biocarburants.
Le bilan des #biocarburants est remis en cause par rapport aux énergies fossiles ️ dans Les Échos https://t.co/7WXWLNr92M pic.twitter.com/UE9qYlGTfZ
— Les Écologistes (@lesecologistes0) October 9, 2025
Ce mélange d’intérêts agricoles, pétroliers et industriels explique en partie la résistance politique à changer de cap. Les constructeurs automobiles, eux aussi, plaident pour que les biocarburants soient reconnus comme solution de décarbonation après 2035, date de fin prévue des ventes de voitures thermiques neuves dans l’Union européenne.
Pourtant, les faits sont têtus : la demande croissante de biocarburants accélère la déforestation, notamment en Indonésie et au Brésil, où la suspension du moratoire sur le soja menace directement l’Amazonie.
Des alternatives plus cohérentes existent
La communauté scientifique s’accorde sur un point : les terres consacrées aux biocarburants pourraient être bien mieux utilisées. Si l’on consacrait seulement 3 % de ces terres à l’énergie solaire, on pourrait alimenter un tiers du parc automobile mondial actuel.
Mieux encore, la restauration naturelle des zones accaparées par les cultures énergétiques permettrait d’économiser 400 millions de tonnes de CO₂ chaque année, soit l’équivalent des émissions de près de 30 millions de voitures diesel.
Les experts plaident donc pour rediriger les financements publics vers des alternatives réellement durables : l’électrification des transports, l’efficacité énergétique et la sobriété. En d’autres termes, cesser de brûler nos ressources alimentaires pour alimenter nos moteurs et investir enfin dans des solutions qui respectent vraiment la planète et ses habitants.
Réinventer le cap français ?
La France se trouve à un tournant. Entre les lobbies agricoles, les pressions industrielles et la tentation politique d’un « pétrole vert », le risque est grand de prolonger une illusion climatique.
Mais la transition énergétique ne se fera pas à coup de slogans ni de subventions mal orientées. Elle passera par une remise à plat courageuse de nos choix technologiques et fiscaux.
Réduire les émissions, oui, mais sans sacrifier la biodiversité, l’eau et la justice sociale sur l’autel d’un carburant « vert »... qui ne l’est pas.
Références de l'article
Transport & Environment. (2025, 9 octobre). CrOP30: Why burning food for land-hungry biofuels is fuelling the climate crisis.
Reporterre . (2025, 9 octobre). Les biocarburants émettent plus de CO₂ que les carburants fossiles.