Et si les grottes préhistoriques françaises étaient les prochaines victimes du climat ?

Un patrimoine français vieux de plus de 20 000 ans subit les effets du changement climatique. Humidité, chaleur, érosion,...autant de menaces risquent de le faire disparaître. Faisons le point.

Cheval préhistorique représenté dans les grottes de Lascaux, France. @Silvio
Cheval préhistorique représenté dans les grottes de Lascaux, France. @Silvio

Nous sommes nombreux à avoir ressenti l’émotion presque sacrée en pénétrant dans une grotte ornée. Ces lieux qui constituent des véritables joyaux archéologiques, peints il y a des dizaines de milliers d’années, vibrent encore de la présence de nos ancêtres, et témoignent de l'ingéniosité et de la culture des premiers humains.

Mais aujourd’hui, ce patrimoine inestimable est en danger. Le changement climatique, s’attaque désormais à notre mémoire la plus ancienne.

Decaclim : comprendre pour préserver

Face à cette alerte, le projet Decaclim a vu le jour. Coordonné par Bruno Lartiges, ce programme de recherche se penche sur trois sites emblématiques : Gargas, la grotte aux Points d’Aiguèze (Gard) et la grotte de Villars (Périgord). L’objectif ? Comprendre l’impact des évolutions climatiques sur les écosystèmes souterrains, détecter les points de bascule, ces moments critiques où un petit déséquilibre peut entraîner une dégradation rapide et irréversible du patrimoine.

« Notre ambition, c’est d’anticiper les transformations à venir et de repérer les signaux faibles, avant que les dégâts ne soient visibles à l’œil nu », précise Bruno Lartiges. Ce travail, à la croisée de l’archéologie, de la climatologie et de la physique, est aussi un appel à la vigilance.

Un danger invisible mais réel

Au fil des ans, l’impact du changement climatique sur les grottes ornées de France devient de plus en plus apparent. L’un des exemples les plus frappants est celui de la grotte de Gargas, dans les Pyrénées. Ce site, connu pour sa collection de mains peintes datant de 27 000 ans, subit chaque année un phénomène inquiétant : une tache blanche apparaît sur les parois, menaçant de détériorer les œuvres.

Ce phénomène, observé pendant la période de transition saisonnière, est lié à un déséquilibre thermique entre la surface et les zones profondes de la grotte. Selon Bruno Lartiges, spécialiste en climatologie souterraine, ce réchauffement est lié à un phénomène de convection qui assèche l'air à certaines altitudes, provoquant un dépôt minéral.

En d’autres termes, l’air qui circule dans la grotte se modifie et entraîne des dépôts qui peuvent altérer les parois, et cela constitue une menace qui, si elle n’est pas contrôlée, pourrait endommager irrémédiablement ces œuvres millénaires.

Entre 2005 et 2023, des capteurs ont permis de suivre la température, l’humidité et les concentrations de dioxyde de carbone (CO2) dans ces grottes. Les résultats sont clairs : l’air des cavités se réchauffe, avec une augmentation de 0,35°C à 0,66°C à Gargas en 10 ans.

Cette élévation de la température favorise également l’assèchement des formations karstiques et modifie les conditions de vie pour les espèces présentes dans les grottes, telles que les chauves-souris, les rongeurs, ou encore la faune bactériologique. Ce déséquilibre écologique a un impact direct sur la conservation de l'art rupestre.

L'humidité, un ennemi redoutable

À l’inverse de Gargas, certaines grottes, comme celle du Pech Merle dans le Lot, sont menacées par l’humidité croissante, entraînant la formation de films d’eau minces sur les peintures. Cette condensation peut, à long terme, détériorer les pigments des œuvres. Ce phénomène est exacerbé par l’élévation des températures et l'humidité dans les grottes, conséquences directes du changement climatique.

L’acidité de l’eau qui stagne sur les parois peut ronger les couches superficielles des peintures et détériorer le substrat rocheux. C’est une autre menace que les chercheurs, comme Sylvain Mangiarotti, tentent de quantifier à l’aide de modélisations et de données satellitaires. Ces recherches visent à comprendre comment les conditions climatiques affectent le CO2 et l’humidité dans ces sites afin de mieux les protéger.

La montée des eaux : un danger pour les grottes côtières

Les grottes côtières, telles que la célèbre grotte Cosquer à Marseille, sont particulièrement vulnérables à la montée des eaux. Le réchauffement climatique entraîne une élévation du niveau de la mer, menaçant directement ces sites archéologiques uniques. La grotte Cosquer, par exemple, se situe désormais à environ 37 mètres sous le niveau de la mer, alors qu’il y a 20 000 ans, la ligne de côte était située 5 kilomètres plus au sud.

Le phénomène d’érosion de la côte menace la préservation des peintures rupestres de ces grottes, mais aussi des structures archéologiques. La montée des eaux pourrait entraîner leur disparition, à moins que des actions de sauvegarde ne soient mises en place.

Le rôle des visiteurs : une pression supplémentaire

Outre le climat, l’activité humaine a un rôle dans la dégradation des grottes. Le site de Lascaux, célèbre pour ses peintures préhistoriques, a dû être fermé au public après que les peintures aient commencé à se détériorer à cause des fluctuations du CO2 liées au trop grand nombre de visiteurs.

Bien que les sites comme Chauvet soient désormais soumis à des contrôles stricts et à des fermetures temporaires en fonction des niveaux de CO2, l'impact de l'homme reste une pression supplémentaire sur ces sites fragiles.

Carole Fritz, archéologue et responsable scientifique de la grotte de Chauvet, souligne que les changements climatiques ne sont pas les seules menaces. Les fluctuations rapides des températures, combinées aux perturbations dues aux visiteurs, compliquent la tâche des chercheurs qui cherchent à préserver ces vestiges inestimables.

Responsabilité collective

Derrière ces études scientifiques se cache une réalité plus large et profondément humaine : le changement climatique ne menace pas seulement notre avenir, mais aussi notre passé. Ces grottes, œuvres collectives d’hommes et de femmes d’un autre temps, nous parlent encore aujourd’hui. Elles racontent l’éveil de l’art, de la conscience symbolique, et de notre rapport au monde.

Préserver ces sites, c’est protéger notre mémoire collective, mais aussi rappeler que l’action pour le climat dépasse les frontières du présent. Elle est un lien entre les générations.

Source de l'article

Trécourt, F. (2025, avril 2). Climat : alerte sur les sites archéologiques. CNRS le Journal