Le traité sur la haute mer sauvera-t-il l'océan avant qu'il ne soit trop tard ?

Il a fallu des centaines de millions d’années pour que l’océan devienne le berceau de la vie. En quelques décennies, l’humain menace cet équilibre. Le traité sur la haute mer sera-t-il l’ultime rempart ?

Bateau de pêche naviguant en haute mer Pays Basque. @Adobe
Bateau de pêche naviguant en haute mer Pays Basque. @Adobe

Il y a près de 390 millions d’années, les forêts primitives, en libérant de grandes quantités d’oxygène dans les océans, ont permis l’évolution des premiers poissons à mâchoires, ancêtres des grands prédateurs marins d’aujourd’hui.

Les chercheurs ont identifié deux grandes vagues d’oxygénation : une première il y a 540 millions d’années, puis une seconde au Dévonien, entre 393 et 382 millions d’années, qui se poursuit encore. C’est cet équilibre en oxygène, maintenu depuis près de 400 millions d’années, qui a fait de l’océan le moteur de la biodiversité et du climat planétaire.

Aujourd’hui pourtant, les activités humaines saturent les mers de nutriments et de polluants, provoquant l’apparition de zones mortes où l’oxygène disparaît totalement. La décomposition massive du plancton, alimentée par l'exces d’engrais agricoles et de déjets industriels, consomme l’oxygène vital et condamne la faune marine. En quelques décennies, nous menaçons de défaire ce que la nature a patiemment construit sur des millions d’années.

La haute mer

La haute mer couvre les deux tiers des océans, soit près de la moitié de la surface du globe. Elle échappe à toute juridiction nationale, ce qui en fait un espace partagé par l’ensemble de l’humanité. Mais cette absence de règles communes en a fait un territoire vulnérable. Surpêche incontrôlée, exploitation illégale, pollution plastique et chimique, acidification liée au changement climatique : la liste des pressions s’allonge sans cesse.

Cet espace immense joue pourtant un rôle vital. Il absorbe une grande partie du CO2 émis par nos activités, régule le climat mondial et nourrit des milliards d’êtres humains. Protéger la haute mer n’est donc pas seulement une question de biodiversité : c’est aussi garantir la stabilité des équilibres planétaires dont dépend notre propre survie.

Un traité en gestation depuis des années

Pour répondre à ce vide juridique, les Nations Unies ont adopté en 2023 le traité dit BBNJ, pour Biodiversity Beyond National Jurisdiction. Ce texte s’inscrit dans la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer et constitue une avancée historique.

Il prévoit notamment la possibilité de créer des aires marines protégées au-delà des eaux territoriales, d’imposer des évaluations d’impact environnemental aux activités industrielles, de définir des règles de partage pour les ressources génétiques marines, et d’encourager le transfert de technologies afin que la protection des océans ne soit pas réservée aux nations les plus riches.

Nice 2025 : l'océan au centre des négociations

La 3ᵉ conférence des Nations Unies sur l’océan qui a réuni 64 chefs d’État, plus de 100 ministres et 12 000 délégués, venus de toutes les régions du monde à Nice en juin 2025, a donné un élan décisif au processus. La diplomatie française s’est fortement mobilisée pour multiplier les ratifications.

Et en août 2025, 139 pays avaient signé le traité, mais seulement 53 l’avaient ratifié. Or, il en faut 60 pour qu’il puisse entrer en vigueur. L’ONU anticipe une application possible dès 2025, mais au plus tard le 1er janvier 2026, avec une première COP dédiée exclusivement à l’océan. Le compte à rebours est lancé.

Les promesses et leurs fragilités

Ces avancées diplomatiques ne doivent pas masquer les résistances. Certains pays freinent encore, et plusieurs échéances cruciales détermineront si les engagements se traduisent en actes.

Une étude récente a montré que les pylônes des éoliennes offshore libèrent plus de 200 substances chimiques, dont une soixantaine sont considérées comme préoccupantes pour la santé et l’environnement. Ces composés, encore mal évalués, pourraient contaminer les organismes marins et, à terme, affecter la chaîne alimentaire humaine.

Une fenêtre qui se referme vite

Le traité BBNJ incarne une opportunité historique: donner enfin des règles de gouvernance à ce vaste espace qu’est la haute mer. Mais entre la signature d’un texte et son application réelle, le chemin est long et incertain. Ratifications, financements, mécanismes de suivi… tout reste à construire.

L’océan n’attendra pas indéfiniment. Chaque mois perdu retarde sa protection et accentue les risques pour le climat, la biodiversité et les sociétés humaines.

Le traité sur la haute mer peut devenir l’outil décisif pour inverser la tendance, à condition que les États choisissent d’agir sans attendre. La vraie question est de savoir si nous aurons la volonté et le courage d’agir avant qu’il ne soit trop tard.

Références de l'article

Nastasia M. (2025, août). Cet oxygène qui changea la vie marine pour toujours, des éoliennes offshore polluantes, un traité historique en marche… Le Journal de l’Océan. Géo.

Dauphin, S. (2025, 13 juin). Sommet de l’océan : le Traité sur la haute mer « entrera en vigueur au plus tard le 1er janvier 2026 ». France Inter