Le climat mondial dépend...du caca de manchots. Et ce n'est pas une blague !

Une scène banale en Antarctique : des manchots, du guano… et des nuages. Mais ce que des scientifiques internationaux viennent de découvrir va vous surprendre.

Colonie de manchots empereurs (Antarctique, Mer de Ross)
Colonie de manchots empereurs (Antarctique, Mer de Ross)

On croirait à une blague de biologiste en manque de sommeil. Pourtant, des chercheurs finlandais, associés à une équipe internationale, viennent de démontrer que les colonies de manchots en Antarctique influencent… la formation des nuages. Oui, sérieusement.

C’est la conclusion d'une étude pointue, effectuée grâce à des mesures en temps réel, des instruments de haute précision, dans l’un des environnements les plus extrêmes du globe.

Cette découverte, loin d’être anecdotique, est publiée dans une revue scientifique de renom : Nature Communications Earth & Environment.

Une réaction en chaîne qui démarre...au sol

Les manchots Adélie, habitants emblématiques de l'Antarctique, forment des colonies pouvant compter plusieurs dizaines de milliers d’individus. Avec eux vient une conséquence bien connue des chercheurs sur le terrain : des tonnes d’excréments, riches en azote, qui s’accumulent au sol. C’est ce qu’on appelle le guano.

En se décomposant, ce guano libère de l’ammoniac (NH3), un gaz qui ne reste pas inerte : il interagit dans l’atmosphère avec des composés émis par le phytoplancton marin, notamment le diméthylsulfure (DMS). Ensemble, ces gaz donnent naissance à des aérosols, des particules ultrafines servant de noyaux de condensation, essentiels à la formation des nuages.

Sans ces particules, il n'y a tout simplement pas de noyaux autour desquels les gouttes d'eau atmosphériques peuvent se condenser, et donc pas de nuage. Cela signifie que la couverture nuageuse, nécessaire pour réfléchir le rayonnement solaire sera considérablement réduite.

Des mesures inédites sur le terrain

Ce qui rend cette étude particulièrement précieuse, c’est la qualité de la méthodologie employée. Les scientifiques ont installé un dispositif de mesures ultrasensibles près de la station Marambio, à l’extrême nord de la péninsule Antarctique, durant l’été austral 2023. Pendant plus de deux mois, ils ont enregistré :

  • les concentrations de gaz comme l’ammoniac, la diméthylamine ou les acides sulfurique et iodique ;
  • la formation de nouvelles particules atmosphériques (NPF) ; • la composition chimique des aérosols et leur capacité à jouer le rôle de noyaux de condensation (CCN) ;
  • jusqu’à la trace chimique des gouttelettes de brouillard, qui témoignent de l’origine des particules.

Les capteurs détectaient des concentrations inférieures à 10 parties par billion, soit l’équivalent d’une goutte d’encre dans une piscine olympique. Grâce à l’analyse fine de la direction du vent, les chercheurs ont pu établir que ces émissions ne venaient pas de "l’océan ouvert", mais bien des colonies de manchots.

Une fabrique à particules 100% naturelle !

Lors de certains épisodes, les scientifiques ont mesuré plus de 16 000 nouvelles particules par centimètre cube d’air, juste au-dessus des colonies. À titre de comparaison, c’est jusqu’à 100 fois plus que dans les zones rurales tempérées.

Mais le plus étonnant reste le rôle de la diméthylamine (DMA), également issue du guano. Ce composé accélère la formation de particules jusqu’à 10 000 fois, un phénomène comparable à ce qu’on observe dans les chambres expérimentales climatiques.

Autrement dit : une colonie de manchots devient une véritable usine chimique atmosphérique à ciel ouvert.

Ce processus ne s’arrête pas avec le départ des oiseaux en fin de saison : les sols, saturés en azote, continuent à émettre de l’ammoniac, prolongeant l’effet climatique du guano bien au-delà de la présence physique des manchots.

Un événement particulièrement marquant a été enregistré le 1er février 2023 : un épisode de brouillard dont l’analyse chimique a révélé qu’il s’était formé directement à partir des particules émises par les colonies. Une preuve directe du rôle du guano dans la microphysique des nuages.

Une approche décalée, mais brillamment nécessaire

Ce qui distingue cette étude, c’est sa capacité à révéler un pan méconnu des cycles climatiques. Jusqu’ici, les recherches sur les aérosols se concentraient essentiellement sur les émissions industrielles, marines ou végétales.

Pour la première fois, on met en évidence le rôle d’une source animale terrestre, dans une des régions les plus "pures" du globe. C’est une avancée conceptuelle majeure : la faune, elle aussi, contribue à façonner le climat.

Et si les manchots disparaissent ?

Le constat devient vertigineux. Le changement climatique fragilise les populations de manchots, et leur disparition réduirait d’autant les émissions d’ammoniac, donc la formation de particules, donc la couverture nuageuse.

Par conséquent, nous aurons moins de nuages, plus de rayonnement solaire, plus de chaleur, et un impact accru sur la banquise. C’est ce qu’on appelle une boucle de rétroaction positive, qui pourrait aggraver le réchauffement au lieu de le freiner.

Selon les projections, jusqu’à 80 % des colonies de manchots empereurs pourraient disparaître d’ici 2100 si les tendances actuelles se poursuivent, alors que ces derniers participent, sans le savoir, à tisser un bouclier climatique naturel.

Un Nobel du rire, ou du climat ?

L’étude ne prétend pas décrocher un prix Nobel classique, mais elle aurait toutes ses chances pour un Ig-Nobel, ces récompenses scientifiques décalées qui "font d’abord rire, puis réfléchir".

On peut sourire, bien sûr. Mais il n’est pas absurde de penser que l’équilibre climatique dépend aussi de l’élégance discrète d’un oiseau en smoking.

Source de l'article

Boyer, M., Quéléver, L., Brasseur, Z. et al. Penguin guano is an important source of climate-relevant aerosol particles in Antarctica. Commun Earth Environ 6, 368 (2025). https://doi.org/10.1038/s43247-025-02312-2