Comment des roches broyées pourraient transformer l'agriculture et le climat ?
En pleine crise climatique, une technique naturelle oubliée revient sur le devant de la scène. Simple, efficace… et prometteuse. Voici comment elle pourrait transformer l’agriculture et lutter contre le CO2.

En 2024, le compteur mondial du dioxyde de carbone (CO2) grimpe à 37,4 milliards de tonnes par an. Toutes les pistes pour retirer ce gaz à effet de serre (GES) de l’atmosphère méritent d’être examinées. Parmi elles, une idée simple, presque élémentaire : épandre des roches finement broyées sur les terres agricoles.
Cette approche nommée enhanced rock weathering (ERW), ou altération accélérée des roches aurait le potentiel de transformer à la fois nos pratiques agricoles et nos réponses climatiques.
Un processus naturel boosté par la science !
L’altération des roches est un phénomène géologique millénaire : sous l’action de l’eau, de l’air et des micro-organismes, certaines roches réagissent avec le CO2 et le transforment en carbonates stables, stockés dans le sol ou emportés vers les océans.
Les roches silicatées comme le basalte ou l’olivine sont particulièrement efficaces. En les broyant finement, on augmente leur surface de contact, ce qui accélère les réactions chimiques et donc la captation du CO2.
Contrairement aux technologies lourdes de captage direct dans l’air, cette méthode n’exige ni énergie fossile ni infrastructures industrielles massives. Mieux encore : elle s’intègre naturellement aux pratiques agricoles. En effet, elle neutralise l’acidité des sols et peut être appliquée comme un amendement classique.
Mais qu’en est-il sur le terrain ? C’est précisément ce qu’a étudié Tyler Anthony et son équipe à l’Université de Californie, Davis. Pendant trois ans, ils ont testé différentes combinaisons d’amendements, roches, compost, et biochar (un charbon végétal issu de la pyrolyse de déchets de bois), dans les prairies arides de Browns Valley.
Trio gagnant
Les résultats de la recherche, publiés dans AGU Advances, sont époustouflants : si les roches seules ont eu un effet limité sur le stockage de carbone, la synergie entre compost, biochar et roches a permis de maximiser la séquestration du CO2, de réduire les émissions de protoxyde d’azote (N2O) et d’améliorer l’absorption du méthane (CH4).
Selon les chercheurs, appliquer ce mélange sur seulement 8 % des prairies californiennes permettrait de retirer jusqu’à 51,7 millions de tonnes de CO2 équivalent par an. Et tout cela sans nuire à la production agricole, bien au contraire.
Des startups à l’assaut
Ce potentiel a attiré des entreprises visionnaires. Eion, une startup californienne, a noué un partenariat avec Perdue AgriBusiness. Leur pari consiste à remplacer le calcaire agricole par de l’olivine broyée, un minéral capable de fixer le CO2 tout en adoucissant les sols. Grâce à la technique du soil fingerprinting, ils peuvent tracer les quantités de carbone stockées, jusqu’aux éléments traces comme le magnésium ou le nickel.
De son côté, Lithos Carbon, basée à Seattle, valorise les résidus de carrière en transformant les poussières de basalte en amendement pour les fermes. Ainsi, il arrive à réduire le coût environnemental du transport et à capter environ un milliard de tonnes de CO2 par an, selon sa fondatrice Mary Yap.
Pas une baguette magique, mais un outil prometteur
Attention toutefois à ne pas idéaliser cette solution. Le broyage, le transport et l’épandage génèrent eux-mêmes des émissions, qu’il faut minimiser pour garantir un bilan positif. Aussi, il existe d'autre limite : la variabilité des sols, des climats et des roches rend les résultats difficilement généralisables.
« Il est essentiel de continuer les recherches en conditions réelles et de développer des outils de mesure fiables », soulignent les auteurs de l’étude.
Le temps de dissolution des minéraux reste lent, plusieurs années parfois, et la durabilité du stockage du carbone, encore incertaine.
Sources de l'article
Anthony, T. L., Jones, A. R., & Silver, W. L. (2025). Supplementing enhanced weathering with organic amendments accelerates the net climate benefit of soil amendments in rangeland soils. AGU Advances. https://doi.org/10.1029/2024AV001480
Henry, L. (2025, avril 24). La poussière de roches qui aide le climat : le pari agricole contre le CO2. Science et Vie