Pourquoi notre cerveau réagit plus à la fin du vin chaud qu'aux canicules ?

Le vin chaud nous touche, pas les +2°C. Une récente étude montre qu’on pleure plus nos plaisirs perdus que la planète en feu. Pourquoi sommes-nous si mal câblés pour réagir à la crise climatique ?

Notre cerveau privilégie les symboles familiers comme le vin chaud à l’abstraction du réchauffement global.
Notre cerveau privilégie les symboles familiers comme le vin chaud à l’abstraction du réchauffement global.

Chaque été désormais bat un nouveau record. Pourtant, malgré les alertes des scientifiques, les incendies, les canicules et les sécheresses qui s'intensifient, la réaction collective reste molle. Mais évoquez la disparition du patinage sur les lacs gelés, d’un Noël sous la neige, ou… du vin chaud sur les marchés d’hiver, et les regards s’emplissent soudain de tristesse, voire d’inquiétude. Pourquoi ?

Ce qui compte vraiment : c'est "ici et maintenant"

Une nouvelle étude publiée dans Nature Human Behavior, menée par les universités de Princeton et UCLA, révèle que notre cerveau est câblé pour réagir davantage à ce qu’il perd concrètement, ici et maintenant, pas ce qu’il risque dans 30 ans, qui constituerait des abstractions climatiques.

L’étude en question, a comparé les réactions émotionnelles de participants face à deux types de données sur le changement climatique. Un groupe observait des courbes de températures en hausse entre 1940 et 2020. L’autre, les conséquences concrètes : des lacs autrefois gelés devenus liquides tout l’hiver, synonyme de la disparition d’activités comme la pêche sur glace ou le hockey...

Ceux confrontés à la perte des activités hivernales ont évalué l’impact du changement climatique 12 % plus fortement que ceux voyant simplement les températures grimper. Autrement dit, un hiver sans patins ni vin chaud touche plus nos cœurs qu’un +1,5 °C sur une échelle.

Comme une grenouille dans l'eau bouillante...

Rachit Dubey, professeur à UCLA et auteur principal de l'étude, explique que notre réaction lente face à la crise climatique vient d'un mécanisme psychologique. Plus les choses se détériorent lentement, plus notre cerveau s'adapte. Un peu comme l’effet de la grenouille dans l’eau chaude, les humains réinitialisent leur perception du 'normal' à intervalles réguliers."

La métaphore est surprenante : une grenouille plongée dans de l’eau bouillante s’échappe. Mais si on chauffe l’eau lentement, elle s’y habitue… jusqu’à la mort. C’est ce que fait notre cerveau. Il s’adapte psychologiquement au changement climatique, réajuste ses repères, et désactive les signaux d’alerte.

Les approches doivent changer ?

Ce mécanisme explique pourquoi les images de glaciers qui fondent à l’autre bout du monde ne provoquent qu’un haussement d’épaules, alors que l’idée d’un vin chaud disparu, ce symbole chaleureux de l’hiver européen, provoque une réaction bien plus vive.

Le vin chaud, ce n’est pas juste une boisson : c’est un rituel, un souvenir sensoriel et affectif puissant. L’odeur de cannelle, la buée sur les lunettes, le bruit des bottes dans la neige. C’est l’hiver comme avant.

"Ce ne sont pas juste des hivers plus doux", ajoute Grace Liu, co-autrice de l’étude. "Ce sont la perte du hockey sur glace, de la pêche, ou d’un Noël blanc. Ce ne sont pas juste des étés plus chauds, mais des piscines naturelles à sec ou des entraînements annulés car il fait trop chaud."

Voilà pourquoi les approches de communication climatique doivent changer. Nous devons peut-être cesser de parler en degrés, en ppm de CO2, en années à venir. Il faut rendre la crise palpable, vécue, intime, sans paralyser. Une ville fictive qui chauffe n’émeut pas ; une patinoire réelle qui ferme, si.

Une clé stratégique pour une communication efficace

Si la fin du vin chaud nous touche plus qu’une hausse de température de 1,5 °C, c’est parce que nos esprits réagissent mieux aux émotions concrètes qu’aux abstractions scientifiques. Ce constat n’est pas qu’un fait psychologique : c’est une clé stratégique.

L'Organisation Météorologique Mondiale rappelle justement qu'il ne suffit pas d’informer, il faut transformer les messages en leviers comportementaux. Il nous faut plus de communication basée sur les impacts vécus et locaux du changement climatique, plutôt que des courbes "abstraites". Autrement dit, ce que nous savons ne compte que s’il nous pousse à agir.

La communication de crise, telle qu’utilisée dans les situations d’épidémies ou de catastrophes naturelles, repose sur un triptyque : émotion, action, répétition. On y apprend qu’un message n’est intégré que s’il est simple, répété, et surtout, associé à des émotions et à des gestes concrets. Une stratégie valable aussi pour la crise climatique.

L’un des grands enseignements est que la proximité perçue est cruciale. Une menace lointaine ne mobilise pas. Une perte locale, personnelle, oui. D’où l’importance de montrer ce qui change dans notre quotidien, dans notre rue, notre assiette, notre saison.

Sources de l'article

Liu, G., Snell, J.C., Griffiths, T.L. et al. Binary climate data visuals amplify perceived impact of climate change. Nat Hum Behav (2025). https://doi.org/10.1038/s41562-025-02183-9

Bonaventure, J.-B. (2025, mai 1). Pourquoi il faut détruire l’hiver de notre enfance pour créer une prise de conscience écologique. GEO.

Christian, E., Cerrudo, C., Viljoen, E., Cooper, N., Jackson, R., Gray, V., & Robertson-Quimby, A. (2022, mars 21). Communiquer pour sauver des vies : améliorer les messages dans les systèmes d’alerte précoce. Organisation Météorologique Mondiale.