TotalEnergies condamnée : un tournant dans la lutte contre la désinformation climatique ?
Pour la première fois, une grande compagnie pétrolière est condamnée pour greenwashing. Ce verdict inédit interroge la responsabilité des géants de l’énergie dans la désinformation climatique et pourrait bien marquer un tournant historique.

C’est un précédent mondial. Le 24 octobre 2025, le tribunal judiciaire de Paris a condamné TotalEnergies pour pratiques commerciales trompeuses, estimant que la multinationale avait « induit en erreur » ses clients en vantant sa prétendue neutralité carbone d’ici 2050.
Un jugement historique
L’affaire, initiée en 2022 par Greenpeace France, Les Amis de la Terre et Notre Affaire à Tous, portait sur une quarantaine de messages publicitaires diffusés entre 2021 et 2023. Trois d’entre eux ont été jugés trompeurs, dont le slogan :
« Nous avons pour ambition de contribuer à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, ensemble avec la société. »
Le tribunal a estimé que ces messages « étaient susceptibles d’altérer le comportement d’achat du consommateur », car ils faisaient croire que l’entreprise suivait les préconisations scientifiques de l’Accord de Paris, alors qu’elle continuait à augmenter ses investissements dans le pétrole et le gaz.
Pour ClientEarth, il s’agit du « premier jugement au monde » établissant qu’un grand groupe pétrolier a trompé le public en verdissant son image. Un signal fort, selon Greenpeace, qui salue une « victoire historique contre la désinformation climatique des majors fossiles ».
Greenwashing : moteur invisible de la désinformation climatique
Le greenwashing n’est pas seulement une stratégie marketing : il constitue une forme opérationnelle de désinformation climatique.
Les chercheurs rappellent que si la désinformation érode la confiance envers la science et freine l’action politique, le greenwashing, lui, affaiblit la confiance du public en donnant l’illusion d’une action environnementale. En pratique, les deux phénomènes se renforcent : l’un efface la réalité, l’autre la repeint en vert.
TotalEnergies a construit une narration optimiste de transition, parlant d’« énergies nouvelles » tout en finançant de nouveaux projets pétroliers et gaziers. Cette communication a contribué à une distorsion cognitive : celle d’un acteur fossile présenté comme moteur de la transition, alors qu’il en reste l’un des principaux freins.
Les mêmes récits comme « la transition coûte trop cher », « le gaz est l’énergie fossile la moins polluante », « la neutralité carbone est en marche », circulent simultanément dans les publicités, les débats politiques et les médias privés. Cette récurrence crée ce que les chercheurs appellent un biais de vérité illusoire : à force d’être répétées, des affirmations trompeuses finissent par paraître crédibles.
Une crise d'intégrité de l'information : 529 cas en 8 mois
Le rapport sur la désinformation climatique dans les médias français confirme l’ampleur du phénomène. Entre janvier et août 2025, 529 cas de mésinformation climatique ont été détectés dans les médias français.
Ces cas s’organisent autour de 19 narratifs récurrents, qui expliquent à eux seuls plus de 80 % des désinformations observées. Fait révélateur : 90 % de ces récits ciblent les solutions de la transition écologique, comme les énergies renouvelables (70 % des cas), la mobilité décarbonée (10 %) ou le rôle de la France dans l’action climatique mondiale (9 %).

Les ONG Science Feedback et Data for Good montrent que ces narratifs sont déployés à des moments politiques stratégiques, débats sur la Programmation pluriannuelle de l’énergie, zones à faibles émissions ou campagnes électorales.
Sur certaines chaînes d’information, la porosité est frappante : un cas de mésinformation est détecté toutes les 40 minutes sur SudRadio, et toutes les heures sur CNews. À l’inverse, l’audiovisuel public, comme France Télévisions ou Radio France, reste six fois moins exposé. Ces chiffres soulignent combien le paysage médiatique influence la perception publique du climat et combien les grands groupes économiques y trouvent un terrain favorable.
Vers un nouveau cadre de responsabilité ?
La condamnation de TotalEnergies marque donc un tournant juridique et démocratique. Elle consacre l’idée que tromper sur le climat, c’est tromper le public. Un débat démocratique sur la transition écologique ne peut exister que sur des bases factuelles communes et grâce à une information fiable.
Cette décision ouvre la voie à une redevabilité climatique de l’information. Si l’inaction climatique se nourrit du doute, lutter contre la désinformation sous toutes ses formes, des plateaux télé aux campagnes publicitaires, devient un acte de justice.
À l’Assemblée nationale, députés, sénateurs, experts, journalistes et médias publics et privés se coordonnent pour encadrer l’information et renforcer la déontologie. Le régulateur ARCOM et des partenaires tels que Data for Good, QuotaClimat et Science Feedback appuient cette dynamique.
Références de l'article
Géo. (2025, octobre 24). TotalEnergies devient la première grande compagnie pétrolière condamnée pour greenwashing.
Quotaclimat, Data for Good, Science Feedback. (2025, octobre). Cartographie de la désinformation climatique : France – Brésil [PDF].