Pollution de l'air : quel est ce nouvel indice que la France et ses voisines européennes doivent absolument connaître ?
Invisible mais redoutable, la pollution de l’air cause 7 % des décès en France. Et si un nouvel indicateur nous permettait enfin de mesurer la vraie toxicité des particules que nous respirons chaque jour ?

Chaque jour, nos poumons filtrent plus de 10 000 litres d’air. Ce que nous ne voyons pas, en revanche, ce sont les millions de particules fines qui s’y glissent : poussières de diesel, fumées de bois, métaux lourds ou aérosols urbains.
En France, cette pollution silencieuse serait responsable de 7 % des décès annuels, selon Santé publique France. Jusqu'ici, son évaluation reposait sur la masse des particules, notamment les fameuses PM10 (inférieures à 10 µm) et PM 2.5 (inférieures à 2,5 µm). Or, cette approche, instaurée par la loi française sur l’air dès 1996, ne dit rien sur la toxicité réelle car toutes les particules ne se valent pas.
Un air côtier chargé d’embruns salins peut afficher la concentration en PM qu’une vallée alpine saturée de fumées de bois et de gaz d’échappement. Pourtant, dans un cas, les particules sont hydratantes ; dans l’autre, elles agressent les cellules pulmonaires.
C’est précisément ce que viennent démontrer Cécile Tassel, doctorante de l’Université Grenoble-Alpes, et Gaëlle Uzu, directrice de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), deux chercheuses françaises à l’origine d’une étude publiée dans Nature.
Le potentiel oxydant
Le potentiel oxydant (ou Oxidative Potential, OP) mesure la capacité des particules à produire du stress oxydatif dans les poumons. En clair, il évalue à quel point l’air que nous respirons favorise un déséquilibre entre antioxydants protecteurs et radicaux libres, ces molécules instables qui endommagent nos cellules.
Ce mécanisme, bien connu des biologistes, est au cœur du développement de maladies respiratoires et cardiovasculaires, aujourd’hui parmi les principales causes de mortalité en France et en Europe.
Jusqu’ici, cet indicateur restait peu utilisé, faute de protocoles standardisés. Cette lacune a été comblée par nos chercheurs qui ont coordonné la plus vaste étude européenne jamais conduite sur le potentiel oxydant, avec 11 500 mesures collectées dans 43 sites situés en France, en Espagne, en Italie, en Suisse, en Grèce, en Autriche, mais aussi en Allemagne et en Slovénie.

Des échantillons provenant à la fois de vallées alpines, de métropoles méditerranéennes et de zones rurales ou industrielles ont été analysés dans un seul laboratoire, suivant un protocole unique, afin de rendre les résultats parfaitement comparables : une grande première à cette échelle.
Les particules ont été testées avec deux méthodes de référence : le DTT, sensible aux métaux et aux composés organiques, et l’acide ascorbique (AA), qui réagit notamment au cuivre et au plomb.
Des résultats qui bousculent les idées reçues
Les conclusions de l'étude sont bouleversantes : les sites proches du trafic routier présentent un potentiel oxydant 2,4 à 3,1 fois plus élevé que les zones rurales. Autrement dit, respirer à proximité d’une grande voie urbaine, c’est exposer ses poumons à un stress oxydatif trois fois plus fort, même si les valeurs officielles de PM sont dans les normes européennes.
À l’inverse, certaines zones affichant une concentration modérée en particules peuvent s’avérer bien plus dangereuses, selon leur composition chimique. Les particules issues du chauffage au bois, riches en carbone organique et en levoglucosane, sont particulièrement oxydantes, surtout dans les vallées alpines où l’air stagne.
Les poussières naturelles, comme celles du Sahara, sont moins réactives mais peuvent irriter les voies respiratoires par simple accumulation.
Un outil clé pour les politiques publiques
Cette étude révèle que la masse des particules ne reflète pas leur dangerosité. On peut donc respecter les seuils réglementaires actuels tout en respirant un air hautement oxydant.
Pour la première fois, les chercheuses proposent des valeurs de référence du potentiel oxydant : entre 0,55 et 1,60 nmol DTT/min/m³ d’air selon le degré d’urbanisation. Près de 90 % des sites de trafic dépassent ces niveaux, contre 30 % des sites urbains.
Leur simulation montre qu’une réduction conjointe de 15 % du trafic routier et du chauffage au bois suffirait à abaisser l’OP moyen urbain au niveau des zones les plus propres. À l’inverse, pour respecter la future norme de l’OMS de masse (15 µg/m³ de PM10), il faudrait réduire la pollution massique de 65 %, un effort colossal.
Vers une nouvelle régulation européenne ?
En 2024, la nouvelle directive européenne sur la qualité de l’air (2024/2881) a officiellement recommandé d’intégrer le potentiel oxydant dans les stations de surveillance de référence. À terme, cet indicateur pourrait devenir un complément essentiel à la mesure de la masse des particules. Il permet d’identifier précisément les sources les plus dangereuses pour la santé : les moteurs thermiques, les freins et les chauffages au bois peu performants.
Si l’Europe respecte ses engagements de réduction de 49 % des émissions de PM2.5 d’ici 2030 et de 90 % des gaz à effet de serre d’ici 2040, le potentiel oxydant pourrait revenir au niveau des sites les plus propres actuels. Mais il faudra, pour cela, penser la qualité de l’air autrement.
Références de l'article
Tassel, C., Jaffrezo, JL., Dominutti, P. et al. Oxidative potential of atmospheric particles in Europe and exposure scenarios. Nature (2025). https://doi.org/10.1038/s41586-025-09666-9
Tassel, C., & Uzu, G. (2025, octobre 22). Le potentiel oxydant : un nouvel indice pour mesurer la pollution atmosphérique. The Conversation.