Peut-on concilier ville, climat et agriculture hors-sol ?

Comment continuer à nous nourrir sans aggraver la crise climatique ? L’agriculture hors-sol promet des réponses. Mais est-ce vraiment un atout pour nourrir les urbains ou une fausse bonne idée ?

Ferme hydroponique de laitues.
Ferme hydroponique de laitues.

Notre planète compte 8,2 milliards d’habitants ; avec une telle dynamique, elle en accueillera 9,66 milliards en 2050. En 1950, 30 % de la population mondiale vivait en ville ; aujourd’hui, elle dépasse les 60 %. Cette urbanisation accélérée grignote les terres nourricières, alors même que le dérèglement climatique fragilise déjà les récoltes par des sécheresses, des inondations et des gels tardifs de plus en plus fréquents.

En France, 24 000 hectares d’espaces naturels ou agricoles disparaissent chaque année, sous l’effet de l’urbanisation et de l’industrialisation. À l’échelle mondiale, entre 43 et 45 millions d’hectares de terres ont été accaparés au profit de monocultures industrielles, souvent au détriment des forêts et de la souveraineté alimentaire locale. Ces évolutions alimentent des tensions sociales bien réelles, y compris sur le territoire français, comme en Martinique, où les prix alimentaires ont atteint jusqu’à 40 % de plus qu’en métropole en 2024.

Comprendre l'agriculture hors-sol

Simplement, l’agriculture hors-sol regroupe des techniques où les plantes accomplissent l’ensemble de leur cycle sans jamais être en contact avec le sol. Les racines reçoivent directement l’eau, l’oxygène et les nutriments nécessaires, dans un environnement où chaque paramètre est maîtrisé : lumière, température, humidité ou fertilisation.

Différents systèmes de ponies. A. culture en eau profonde, B. Système de table à marées, C. Aéroponie, D. Aquaponie. E. le système NFT (Nutrient Film Technique). Adrien Gauthier, modifié d’après Rathnayake et Sharmilan, 2023.
Différents systèmes de ponies. A. culture en eau profonde, B. Système de table à marées, C. Aéroponie, D. Aquaponie. E. le système NFT (Nutrient Film Technique). Adrien Gauthier, modifié d’après Rathnayake et Sharmilan, 2023.

Trois grandes techniques dominent aujourd’hui. L’hydroponie, la plus répandue, nourrit les plantes grâce à une solution liquide enrichie en minéraux. L’aéroponie fonctionne sur le même principe, mais pulvérise les nutriments sous forme de brouillard, ce qui améliore l’oxygénation des racines. L’aquaponie, enfin, associe élevage de poissons et cultures végétales : les déjections des poissons nourrissent les plantes, qui filtrent l’eau grâce à l’action de bactéries. Un équilibre vivant, élégant mais exigeant.

Promesses agronomiques et angles morts environnementaux ?

Sur le plan agronomique, les performances sont bien réelles. Environ 70 % de la production française de tomates est aujourd’hui cultivée hors-sol, principalement sous serre. Ces systèmes permettent aussi une économie d’eau considérable, pouvant atteindre 70 à 95 % par rapport à une culture en plein champ. Les rendements sont souvent plus élevés, la croissance plus rapide, et les cultures nécessitent moins de pesticides, tout en évitant la contamination de sols pollués.

Toutefois, il faut savoir que les investissements de départ sont lourds, parfois plusieurs centaines de milliers d’euros, et la technicité requise élevée. Surtout, le coût énergétique reste un point de vigilance majeur. Malgré les progrès, une salade produite toute l’année en hors-sol peut avoir un impact environnemental supérieur à celle cultivée en plein champ, en raison de l’éclairage, du chauffage et des systèmes de pompage. Ces contraintes expliquent en partie l’échec de plusieurs entreprises emblématiques du secteur ces dernières années.

Une brique parmi d'autres...

Soyons clairs : l’agriculture hors-sol ne nourrira pas, à elle seule, l’ensemble de la population. Elle repose sur une gamme de cultures limitée, principalement des légumes-feuilles, des fruits à cycle court ou des herbes aromatiques. En revanche, elle peut contribuer à renforcer l’autonomie alimentaire des villes, valoriser des friches urbaines ou industrielles et rapprocher les citoyens des lieux de production.

Ces fermes jouent aussi un rôle pédagogique fort, en reconnectant les citadins au cycle du vivant. À terme, elles pourraient diversifier leurs débouchés vers l’alimentation animale, les protéines végétales alternatives ou les plantes à usage pharmaceutique. L’enjeu n’est donc pas d’opposer agriculture hors-sol et agriculture traditionnelle, mais de combiner les approches. Face à la crise climatique, aucune solution unique ne suffira. C’est dans l’assemblage de réponses sobres, locales et complémentaires que peut se dessiner une agriculture plus résiliente.

Références de l'article

Bruyant, M.‑P., & Gauthier, A. (2025, 24 décembre). Quel rôle pour la production hors‑sol dans l’agriculture de demain ? The Conversation.

AgriMaroc. (2025, 15 janvier). Les cultures hors sol : avantages et inconvénients.