Le lait de vache va-t-il vraiment disparaître de nos frigos à cause du climat ?
À force de canicules à répétition, la production laitière mondiale est sérieusement menacée. Le lait, aliment de base pour des millions, est-il en voie d’extinction ? Réponse dans cet article.

Le lait est devenu une victime silencieuse du réchauffement climatique. Deux études récentes publiées respectivement dans Science Advances et Food Policy alertent sur la multiplication des épisodes de stress thermique chez les bovins, qui nuit gravement à leur rendement.
Dès que l’indice température-humidité (THI) dépasse 26 °C, les vaches entrent en stress : elles mangent moins, boivent plus et leur métabolisme ralentit : une seule heure de chaleur peut faire baisser la production de 0,5 %. Et les effets se prolongent plusieurs jours. Lors des canicules, les pertes peuvent atteindre 10 %, selon une étude israélo-américaine menée sur 130 000 vaches pendant douze ans.
Une baisse mondiale qui inquiète
À l’échelle mondiale, si aucune adaptation n’est mise en œuvre, la production laitière pourrait reculer de 4 % d’ici 2050. Un chiffre lourd de conséquences, car 150 millions de ménages dans le monde dépendent directement du lait pour vivre.

Dans le Midwest américain, une autre étude basée sur 56 millions de données issues de 18 000 fermes montre que le stress thermique fait perdre 1 % de rendement par an, soit 616 millions de litres de lait en cinq ans. En valeur, cela représente 245 millions de dollars.
Les petites fermes en première ligne
Les fermes de moins de 100 vaches, qui ne pèsent que 20 % de la production étudiée, subissent 27 % des pertes économiques. Faute de moyens, elles sont rarement équipées en systèmes de refroidissement (ventilation, brumisation, ombrage), des solutions efficaces mais limitées lors de canicules prolongées.
En Israël, où la chaleur est chronique, la quasi-totalité des fermes combine plusieurs techniques d’atténuation. Mais même là, elles ne permettent de réduire que 40 % de l’impact des fortes chaleurs. D’autres pistes existent comme la modification génétique, ou encore l’adaptation des cycles de production. Si elles offrent certaines perspectives, leurs risques potentiels ne sont pas encore entièrement connus. Ces pistes restent par ailleurs coûteuses, et souvent inaccessibles aux pays du Sud.
Et en France, une filière en mutation ?
Avec 23 milliards de litres collectés en 2024, la France reste une puissance laitière européenne. Mais le modèle évolue : le lait de foin, issu de vaches nourries sans ensilage, séduit par sa qualité et son moindre impact environnemental. Le bio poursuit sa progression : 5,4 % de la collecte en 2023, contre 1,2 % en 2010.
La filière s'engage aussi via des démarches RSE : réduction des émissions, amélioration du bien-être animal, gestion des effluents, alimentation de qualité.
Un enjeu planétaire de justice et de résilience
La situation est particulièrement critique en Asie du Sud, appelée à fournir plus de 50 % de la croissance laitière mondiale . Urbanisation, pression foncière, explosion des journées caniculaires : les conditions deviennent intenables.
Le paradoxe est coriace. Le secteur laitier, gros émetteur de méthane (un gaz à effet de serre puissant), subit aujourd’hui de plein fouet les effets du dérèglement climatique… qu’il contribue lui-même à aggraver. C’est ce qu’on appelle une boucle de rétroaction : plus la production génère de GES, plus le climat se réchauffe, et plus il devient difficile de produire du lait.
Si aucune adaptation en profondeur n’est engagée, la disparition du lait dans nos frigos pourrait bien devenir l’un des symboles les plus concrets d’un monde qui surchauffe.
Références de l'article
Claire Palandri et al., High-frequency data reveal limits of adaptation to heat in animal agriculture. Sci. Adv.11, eadw4780(2025). DOI :10.1126/sciadv.adw4780
Hutchins, J., Skidmore, M., & Nolan, D. (2025). Vulnerability of US dairy farms to extreme heat. Food Policy. https://doi.org/10.1016/j.foodpol.2025.102821