Transition énergétique en France : peut-on vraiment faire confiance au gouvernement ?

Le gouvernement promet une transition énergétique ambitieuse d’ici 2035. Mais pour l’Académie des sciences, le compte n’y est pas. Décryptage.

Panneaux solaires, éoliennes et tours de refroidissement nucléaires.
Panneaux solaires, éoliennes et tours de refroidissement nucléaires.

En mars 2025, le gouvernement dévoilait sa nouvelle Programmation Pluriannuelle de l’Énergie (PPE), censée orienter notre avenir énergétique jusqu’en 2035. L'objectif, c'est de sortir des énergies fossiles, renforcer notre indépendance énergétique et respecter les engagements climatiques européens. Louable ? Sans doute. Mais les contraintes physiques et économiques finissent toujours par rappeler à l’ordre les ambitions politiques.

L’Académie des sciences, dans une analyse rigoureuse rendue publique peu après, tire la sonnette d’alarme : cette PPE fait fausse route sur plusieurs points essentiels.

Un système électrique déjà exemplaire, mais...vulnérable

Commençons par un constat souvent méconnu : la France dispose déjà d’une électricité parmi les plus décarbonées au monde, avec une intensité carbone de 21,3 g CO₂/kWh en 2024 (contre environ 400 g en Allemagne). Cela est dû à un mix dominé par le nucléaire et l’hydroélectricité, deux sources pilotables qui fournissent plus de 80 % de notre électricité.

Mais cette base ne suffit pas. Le pays reste dépendant à 58 % des énergies fossiles pour sa consommation finale, notamment dans les transports, l’industrie et le chauffage. Et cette dépendance nous coûte environ 60 milliards d’euros par an. Il est donc impératif de “défossiliser” notre économie.

Electrifier, oui, mais à quel rythme ?

La PPE mise gros sur l’électrification : transports (véhicules électriques), habitat (pompes à chaleur), industrie (hydrogène vert, acier bas carbone). Pour alimenter cette électrification, le gouvernement prévoit une hausse de la production d’électricité de 200 TWh d’ici 2035, soit une augmentation de 37 % par rapport à la production actuelle de 540 TWh.

Or, cette hypothèse de consommation pose problème. En 2024, la consommation réelle d’électricité s’élevait à 449 TWh, en baisse constante depuis 2017, tendance observée aussi dans les autres pays européens. Cette baisse est surtout expliquée par les prix élevés, les efforts de sobriété, la désindustrialisation et une électrification plus lente que prévue (voitures électriques, hydrogène, etc.).

Le scénario de forte hausse de la demande apparaît donc déconnecté des dynamiques réelles. Or, surévaluer les besoins, c’est prendre le risque de surinvestir dans des capacités de production inutiles, fragilisant à la fois la cohérence économique et la stabilité technique du système.

Piège de la surproduction

L’Académie des sciences nous prévient :

s’appuyer sur une hausse irréaliste de la demande pour justifier des investissements massifs dans la production est dangereux.

Une surproduction structurelle rend le système vulnérable à plusieurs égards. En effet, la transition vers un mix énergétique dominé par les énergies renouvelables intermittentes pose plusieurs défis majeurs. D'une part, la volatilité des prix est une conséquence directe des excès d’offre ou des périodes de tension : elle peut entraîner des prix négatifs sur les marchés de gros ou, au contraire, les prix peuvent s’envoler brutalement.

D’autre part, cela conduit à une sous-utilisation du parc nucléaire, car il faudrait moduler en permanence sa production pour équilibrer le réseau, une opération coûteuse et nuisible à la longévité des réacteurs.

Par ailleurs, une telle stratégie compromet la stabilité des réseaux électriques. En misant principalement sur environ 200 TWh d’énergies renouvelables intermittentes, le gouvernement fait l’impasse sur une réalité physique incontournable : ces technologies, dépourvues d’inertie et de pilotabilité, ne peuvent assurer à elles seules la stabilité du réseau sans soutien massif en stockage et flexibilité.

Et il faut savoir que sans capacités de stockage à grande échelle, les énergies variables ne peuvent soutenir à elles seules la stabilité du réseau. Or, aucun des trois prérequis identifiés par RTE et l’AIE en 2021, stockage, renforcement des réseaux, réserves pilotables, n’est aujourd’hui rempli.

Une stratégie politique avant tout ?

Pourquoi alors cette fuite en avant vers les renouvelables intermittents ? L’Académie avance une hypothèse : respecter coûte que coûte les objectifs européens, notamment les 42,5 % d’ENR dans le mix électrique. Mais une telle trajectoire, imposée à marche forcée, pourrait compromettre la stabilité, la sécurité, et même la rentabilité de notre système énergétique.

La transition énergétique n’est pas une course contre la montre, mais une course d’endurance. Plutôt que de “mettre la charrue avant les bœufs”, il faudrait, selon l’Académie : consolider notre parc nucléaire existant, développer les ENR au rythme des besoins réels et de l’adaptation du réseau, et investir dans le stockage et la flexibilité, pour bâtir un système résilient.

Pour réussir la transition, il faut des choix techniques solides, pas des slogans. L’intention du gouvernement est là, c'est déjà une bonne chose, mais la rigueur scientifique, elle, semble avoir été reléguée au second plan.

Références de l'article

Ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle. (2025, mars). Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE 3) : lancement de la consultation finale du public.

Académie des sciences. (2025, 8 avril). Avis sur la version révisée de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE 3) [Communiqué de presse].

The Conversation.(2025, 26 mai ). Avenir énergétique de la France : le texte du gouvernement est-il à la hauteur des enjeux ?