Pourquoi la France laisse-t-elle le chantier de l'A69 continuer ? Quelles conséquences ?

En février, la justice suspendait l’A69. En mai, les travaux reprennent. Pourquoi un projet jugé illégal redémarre-t-il ? Décryptage des enjeux environnementaux, politiques et sociaux.

Autoroute en France.
Autoroute en France.

Le 28 mai 2025, les pelleteuses ont repris du service sur le tracé de l’A69, entre Toulouse et Castres : une décision qui donne le vertige car ce jour-là, la cour administrative d’appel de Toulouse a autorisé la reprise de ce chantier tant controversé, pourtant suspendu trois mois plus tôt pour… illégalité. Les travaux peuvent reprendre en attendant le jugement sur le fond, prévu en fin d’année. Pourquoi tant d’empressement ?

Une autoroute controversée

Longue de 53 kilomètres, l’A69 vise à relier Toulouse à Castres en une heure, contre une heure et vingt minutes actuellement. Son coût, estimé à 540 millions d’euros, en fait un projet lourd pour les finances publiques et locales. Portée par le concessionnaire privé Atosca, soutenue par l’État et les collectivités, cette infrastructure est justifiée par ses promoteurs au nom du « développement économique local » et d’un désenclavement de la région.

Ce ruban d’asphalte traversera terres agricoles, forêts, zones humides… Un écocide de proximité pour de nombreux citoyens, agriculteurs, naturalistes et associations environnementales, qui dénoncent une artificialisation massive et irréversible.

Une justice piétinée

En février dernier, le tribunal administratif de Toulouse avait pourtant suspendu les travaux, considérant que le projet ne répondait pas à la fameuse « raison impérative d’intérêt public majeur » (RIIPM), indispensable pour contourner les lois environnementales. Un jugement salué comme une victoire par les opposants.

Mais cette victoire n’a pas duré. Le 28 mai, la cour administrative d’appel de Toulouse a accordé un « sursis à exécution » à la demande de l’État et d’Atosca. En d’autres termes, les travaux peuvent reprendre en attendant le jugement sur le fond… prévu au plus tôt fin 2025. Une décision qualifiée d’incompréhensible par les défenseurs de l’environnement, tant elle semble contredire les constats antérieurs.

Et pourtant, cette volte-face judiciaire n’est pas un cas isolé. Selon Chloé Gerbier, juriste et militante,

le droit de l’environnement est devenu un droit à polluer, dicté par les acteurs économiques.

À force de brèches législatives et de pressions politiques, les porteurs de projets imposent la politique du fait accompli : ils avancent coûte que coûte, même quand la justice dit non.

Une asymétrie des forces

Le combat est profondément déséquilibré. D’un côté, les promoteurs disposent d’armées d’avocats, de milliers de pages d’études d’impact et de l’oreille attentive des ministres. De l’autre, des collectifs citoyens qui fonctionnent avec moins de 2 000 euros par an pour défendre la biodiversité et les territoires.

En face, les porteurs de projets ont les moyens de « saucissonner » les autorisations, contourner les procédures, voire ignorer les mises en demeure. En 23 mois, le chantier de l’A69 a déjà reçu 42 rapports de manquements et 15 arrêtés préfectoraux de mise en demeure.

Quelles conséquences ?

La reprise des travaux pourrait être difficilement réversible. Si le bitume est déjà coulé au moment où l’appel est jugé, le risque est grand que la justice, même si elle confirme l’illégalité du projet, ne puisse plus exiger de remise en état. Un problème récurrent du droit administratif, mal adapté aux urgences écologiques.

Destruction irréversible des milieux naturels

Les sols artificialisés ne peuvent plus remplir leurs fonctions écologiques : absorption des pluies, filtration de l’eau, habitat pour les espèces, régulation du climat local. Une fois le bitume posé, il est extrêmement difficile et coûteux de revenir en arrière, et en pratique, cela n’est presque jamais fait.

Même si la justice conclut à l’illégalité du projet en fin d’année, il est peu probable qu’elle ordonne la destruction de l’autoroute déjà construite.

Affaiblissement durable de l’État de droit

Lorsque des décisions judiciaires sont contournées ou suspendues sous la pression politique, le message envoyé est dangereux : la loi peut céder face aux intérêts économiques, et les règles ne sont plus garantes de justice, mais d’opportunité. Cela contribue à affaiblir la confiance dans les institutions.

Un précédent pour d'autres projets

Si le chantier de l’A69 aboutit malgré les alertes juridiques, écologiques et sociales, il pourrait servir de modèle à d’autres infrastructures contestées. C’est le principe du précédent : une fois qu’une brèche est ouverte dans le droit, elle peut être réutilisée ailleurs. Cela risque d’encourager d’autres projets de bétonisation, même dans des zones protégées.

Une menace pour la démocratie environnementale

Les concertations, les enquêtes publiques, les débats sont vidés de leur substance si les décisions qui en émergent peuvent être ignorées ou inversées a posteriori. C’est la légitimité même de la participation citoyenne qui est mise en cause. La politique du fait accompli remet en question le droit des citoyens à influer sur les choix d’aménagement qui les concernent.

Résister, encore

Manifestations, grèves de la soif, occupations, interpellations d’élus : la lutte prend des formes multiples, car oui, les opposants refusent de baisser les bras face à cette situation. Le collectif anti-A69 prépare un grand rassemblement festif et militant en juillet dans le Tarn, pour « transformer l’indignation en mouvement populaire ».

Au fond, ce combat dépasse largement le Tarn… L’A69 pourrait bien être le symbole de notre capacité (ou non) à dire NON à l’inacceptable.

Référence de l'article

Reporterre, 30 mai 2025. Entretien — A69 A69 relancée : « Le droit de l’environnement est devenu un droit à polluer ».