Recherche française : un retard dramatique face à l'urgence climatique ?

Le monde file vers +3 °C et la France peine à mobiliser sa recherche publique pour le climat. Ce retard est-il une fatalité ou peut-il devenir une chance de réinventer notre science ?

"Toute recherche doit soit contribuer à la décarbonation, soit être compatible avec un monde où le climat change déjà."
"Toute recherche doit soit contribuer à la décarbonation, soit être compatible avec un monde où le climat change déjà."

Sans action immédiate, la planète s’achemine vers un réchauffement de +3 °C d’ici la fin du siècle. Même TotalEnergies reconnaît que l’objectif de +2 °C est désormais hors d’atteinte, illustrant l’ampleur du défi. Pourtant, la Cour des comptes, organe indépendant chargé de contrôler et d’évaluer l’utilisation des fonds publics en France, alerte sur le faible engagement du système de recherche français sur ces enjeux cruciaux. On croirait que la crise climatique ne relève que d’une question périphérique, réservée aux seuls experts internationaux.

Ce retard a un coût tangible. Les chaînes de valeur se désorganisent, le prix de l’énergie monte, les tensions sur les ressources s’accentuent et la pauvreté progresse. Selon la Cour des comptes, le coût de l’inaction dépasse largement celui de la transition, et chaque année de retard amplifie les dégâts. L’inertie du système Terre rend certains impacts irréversibles, mais il est encore possible de limiter la casse à condition d’une mobilisation immédiate et coordonnée de tous les acteurs, et en particulier de la recherche publique.

Réorienter la recherche : une nécessité stratégique

Dans une tribune publiée dans Le Monde, le mathématicien Yves Laszlo, professeur à l’Université Paris-Saclay et ancien directeur de l’enseignement et de la recherche à Polytechnique est sans détour :

La France doit réexaminer radicalement la manière dont elle mobilise sa recherche publique face au défi climatique.

Il insiste : toute recherche, quelle qu’elle soit, doit contribuer à limiter le réchauffement ou s’adapter à un climat déjà dégradé. Ce n’est pas seulement un choix scientifique : c’est un choix stratégique pour préparer un monde qui ne sera jamais comme avant.

Cette réorientation implique de prioriser des sujets comme la décarbonation des industries, l’efficacité énergétique et l’adaptation aux risques climatiques, mais aussi de repenser les financements. Laszlo pointe par exemple le futur collisionneur du CERN, estimé à 35 milliards d’euros : son utilité scientifique est discutée, alors que ces fonds pourraient servir à des recherches plus urgentes face au climat.

Le CNRS pourrait jouer un rôle moteur pour entraîner tout le paysage scientifique vers cette transformation nécessaire.

Changer de culture scientifique et politique

Au-delà des financements, le défi est culturel. Comment intégrer le climat dans la recherche médicale, économique ou en physique des matériaux ? Comment décider d’arrêter certaines recherches pour concentrer les efforts sur ce qui est vital ? Pour de nombreux chercheurs, participer à un projet national cohérent de décarbonation serait motivant, à condition que le pouvoir politique offre un cap crédible et stable.

Les crises sont douloureuses, mais elles sont aussi des opportunités de réinvention. Avec une Amérique qui se détourne du climat, la France peut choisir de transformer la menace en moteur d’innovation. La science n’est pas seulement un observateur du monde : elle peut en être l’architecte consciente et responsable. La fenêtre d’action se rétrécit, mais elle existe encore. Le moment d’agir est maintenant, avec lucidité, audace et solidarité.

Référence de l'article

Laszlo, Y. (2025, 20 novembre). COP30 : la France doit réexaminer radicalement la manière dont elle mobilise sa recherche publique sur les enjeux climatiques. Le Monde.