Les alertes précoces peuvent-elles sauver plus de vies que les secours post-catastrophe ?
Quand l’urgence climatique frappe, chaque seconde compte. Mieux vaut-il prévenir que guérir ? Zoom sur la puissance des systèmes d’alerte précoce face aux catastrophes.

Entre 1993 et 2022, plus de 765 000 vies humaines ont été fauchées par des événements climatiques extrêmes à travers le monde, selon le Climate Risk Index 2025. Ces chiffres vertigineux s’accompagnent de 4 200 milliards de dollars de pertes économiques directes, causées par près de 9 400 catastrophes climatiques répertoriées : inondations, tempêtes, vagues de chaleur, sécheresses, incendies…
Le monde subit de plein fouet l’accélération des risques climatiques. Et pourtant, nombre de ces drames auraient pu être atténués, voire évités.
Une réalité insoutenable
La tempête demeure l’événement climatique extrême le plus meurtrier, avec près de 264 000 décès recensés sur les trois dernières décennies. Elle est suivie de près par les vagues de chaleur, responsables de plus de 225 000 morts, et les inondations, qui ont coûté la vie à environ 205 000 personnes.

En 2022, cette tendance s’est encore aggravée : les vagues de chaleur ont représenté à elles seules 83 % des décès liés aux catastrophes climatiques. Ce même été 2022, plus de 61 000 personnes ont perdu la vie en silence, étouffées par des températures records, et la sécheresse a touché 107 millions de personnes, affectant leur santé, leurs moyens de subsistance et leur sécurité alimentaire.
Ces chiffres ne sont pas de simples statistiques : ils racontent des familles endeuillées, des communautés fragilisées, des sociétés confrontées à l’urgence climatique sans les outils pour s’y préparer.
Réagir ou anticiper : là est la question
Historiquement, la réponse aux catastrophes s’organise après leur survenue : distribution d’aide, évacuation, reconstruction. Mais chaque minute perdue coûte cher.
Et si on inversait la logique ? C’est l’ambition du programme “Early Warnings for All” lancé par l’Organisation météorologique mondiale (OMM). Il vise un objectif clair : que chaque personne sur la planète soit protégée par un système d’alerte précoce d’ici 2027. Ces systèmes permettent de réduire considérablement les pertes humaines et les dommages économiques, avec un rendement d’investissement approchant un facteur 10 sur chaque dollar investi.
La Banque mondiale et le Global Facility for Disaster Reduction and Recovery (GFDRR) confirment un ratio de 4 à 36 USD de bénéfice par dollar investi dans la prévention via les services hydrométéorologiques et les alertes. Entre 1978 et 2018, les systèmes d’alerte précoce auraient permis d’éviter 360 à 500 milliards USD de pertes d’actifs et 600 à 825 milliards USD de pertes de bien‑être.
Un outil de justice climatique
L’OMM met en lumière que 70 % des décès dus aux catastrophes climatiques sur 50 ans ont eu lieu dans les 46 pays les plus pauvres. L’initiative comprend aussi un effort pour combler les lacunes des systèmes d’alerte dans les pays les moins développés (PMA, petits États insulaires), où seul 40 % des pays disposent d’un système multi‑risques.
Ce n’est pas nouveau de voir que les pays les plus touchés par les catastrophes climatiques, comme le Pakistan, les Philippines, les Honduras, sont aussi ceux qui ont le moins contribué au réchauffement. En 2022, le Pakistan a perdu 30 milliards de dollars en quelques semaines à cause d’inondations, alors que ses émissions historiques sont infimes. Il a fallu attendre la COP27 pour qu’un fonds “pertes et dommages” soit enfin acté. Mais en 2025, il n’est toujours pas opérationnel.

Dans ce contexte, les systèmes d’alerte deviennent des instruments de justice. Ils permettent aux pays vulnérables d’anticiper, de protéger leurs populations, de limiter la destruction de leurs infrastructures, de leurs cultures, de leur avenir. Ce sont aussi des outils d’autonomisation, en particulier pour les femmes, les populations rurales, les peuples autochtones. Mais encore faut-il qu’ils soient bien financés, adaptés localement et basés sur des données fiables.
Investir maintenant pour un rendement garanti !
Selon la Global Commission on Adaptation, un investissement de 1,8 trillions de dollars entre 2020 et 2030 dans cinq domaines clés, dont les systèmes d'alerte, permettrait un bénéfice net de 7,1 trillions de dollars. Dans un exemple concret, un investissement d’environ 1 milliard USD par an pourrait générer des avantages économiques de 4 à 36 milliards USD par an grâce aux alertes.
On voit clairement que les alertes précoces ne sont pas un luxe technologique. Ce sont des outils de dignité, de résilience et d’égalité. Une alerte bien conçue, bien transmise, bien comprise, peut permettre à une famille de se mettre à l’abri, à une école de suspendre ses cours, à un agriculteur de sauver ses récoltes. Elle peut littéralement changer le destin d’un village, d’une région, d’un pays.
Source de l'article
GermanWatch (2025). Climate Risk Index 2025.