La qualité du fromage baisse en France : et si c'était le changement climatique le coupable ?
Le camembert s’affadit, le comté perd en caractère. Une étude de l’INRAE l’atteste : le climat attaque nos fromages. Et si la disparition du goût nous forçait (enfin) à agir face au changement climatique ?

En France, le fromage est bien plus qu’un aliment : c’est un patrimoine, une culture, un art de vivre. Pourtant, un bouleversement discret mais profond de cette filière est en cours. Le goût, la texture, et même la couleur de certains fromages évoluent. Et selon une étude récente de l’INRAE et VetAgro Sup, le coupable n’est pas à chercher dans les caves d’affinage…
Le changement climatique s'attaque à l'âme de la France ?
On a beau avoir vu les arbres qui dépérissent, les maisons qui se fissurent, les ouragans qui s’intensifient, les inondations à répétition, les incendies géants, les stations de montagne qui ferment, les ours blancs qui meurent de faim, et les logements sous les toits qui deviennent invivables à cause des vagues de chaleur… Rien de tout cela ne semble avoir causé l’électrochoc tant attendu. Rien, peut-être, jusqu’à aujourd’hui.
Car voici que se profile une catastrophe d’un genre nouveau. Une menace sourde, mais profondément symbolique, susceptible de toucher jusqu’à celles et ceux qui se croyaient à l’abri : la hausse du thermomètre pourrait bien atteindre le cœur battant de notre identité nationale. Oui, le réchauffement climatique pourrait altérer, voire faire disparaître, la qualité de nos fromages.
Climat, vache et herbe : une chaîne invisible
L’étude, publiée dans le Journal of Dairy Science, a été menée dans une ferme expérimentale du Massif central, berceau du Cantal, emblème des fromages à pâte pressée cuite. L’objectif, c'est d'observer comment différentes rations alimentaires, plus ou moins riches en herbe fraîche, influencent la qualité du lait et du fromage.
Les chercheurs ont conduit une expérience de 4 mois. Quatre groupes de 10 vaches laitières ont été nourris avec des régimes très différents, reflétant les choix réels d’adaptation des éleveurs de la région : le premier groupe recevait 75 % d’herbe pâturée ; le deuxième, en simulation de sécheresse, avait 50 % de foin en stabulation ; le troisième avait 75 % d’ensilage de maïs et 25 % d’herbe pâturée ; le quatrième, enfin, était entièrement privé d’herbe : 100 % maïs ensilé.
Le lait de chaque groupe a ensuite servi à produire du fromage de type Cantal, rigoureusement analysé pour ses qualités nutritionnelles et sensorielles. Le verdict est surprenant : plus l’alimentation est riche en herbe fraîche, meilleur est le fromage. Goût, texture, valeur nutritionnelle : les écarts sont nets.
Un lent effacement…
Les fromages issus de vaches nourries à l’herbe pâturée sont plus jaunes, plus fondants, plus aromatiques. Ceux produits à partir de lait de vaches nourries au maïs sont plus fermes, plus blancs, plus fades. Un jury de 10 experts a évalué chaque fromage selon quatre critères sensoriels : goût, arôme, odeur et texture. Leur verdict est sans appel : l’herbe fait la différence.
Sur le plan nutritionnel aussi, l’impact est considérable. Les fromages « à l’herbe » contiennent davantage d’acides gras oméga-3, bénéfiques pour la santé cardiovasculaire. « L’herbe pâturée reste un élément clé de la qualité nutritionnelle du lait. », rappelle l’équipe de l’INRAE.
Ce résultat, les amateurs de Beaufort ou de Comté le connaissent déjà : le Beaufort d’été, fait avec du lait de vaches dans les alpages, surclasse de loin son cousin d’hiver, produit quand les vaches se nourrissent de foin. Le Comté, lui, ne fait pas la différence dans son nom, mais le palais, lui, la sent.
Le maïs menace nos terroirs ?
Pourquoi alors délaisser l’herbe ? La réponse est simple : les sécheresses, de plus en plus longues et fréquentes, raréfient l’herbe fraîche. En zone de moyenne montagne, les éleveurs se tournent vers le maïs, plus résilient et plus facile à stocker. Une solution pragmatique, sur le court terme. Mais à long terme, c’est toute l’identité fromagère de nos régions qui est remise en question.
« Les systèmes à base de maïs dégradent nettement la qualité des produits », alerte l’équipe de recherche. Maintenir une part, même modeste, d’herbe dans les rations permettrait de préserver les qualités gustatives et nutritionnelles. Le recours au foin, quand il est bien géré, offre aussi une piste plus douce pour s’adapter aux aléas climatiques.
Ce que le fromage nous dit de notre avenir
Mais cette étude dépasse largement le cas du Cantal. Elle révèle la fragilité d’un écosystème agricole et alimentaire bâti sur un équilibre délicat. La qualité du lait, et donc celle du fromage, devient un indicateur tangible de l’impact du changement climatique sur notre alimentation.
Et ce n’est qu’un début. Les chercheurs vont désormais plus loin, en analysant les sols, les prairies, le microbiote des vaches… et même les fèces de rongeurs ayant consommé les fromages. Cette fois, ils veulent comprendre comment les flux microbiens évoluent avec l’alimentation et si cela pourrait, à terme, influencer la santé intestinale des consommateurs. Les résultats de cette nouvelle enquête sont attendus prochainement.
Un électrochoc par le goût ?
La perspective de voir les îles Tuvalu disparaître sous les eaux n’a pas suffi à nous faire renoncer aux SUV, aux vols low-cost ou à la surconsommation. Mais peut-être qu’il fallait frapper ailleurs, au plus intime : dans nos assiettes, car oui, nos fromages changent ; et non, ce n’est pas un détail.
C’est le signal, à la fois doux et piquant, d’un bouleversement climatique qui s’invite dans nos vies quotidiennes. Peut-être est-ce là, dans l’arôme affadi d’un camembert ou dans la texture appauvrie d’un comté, que réside enfin le déclic. Une vérité à maturer d’urgence.
Source de l'article
Bouchon M., Martin B., Bord C. et al. (2025). Adaptation strategies to manage summer forage shortages improve animal performance and better maintain milk and cheese quality in grass- versus corn-based dairy systems. Journal of Dairy Science, DOI: https://doi.org/10.3168/jds.2024-25730