L'explosion des data centers de l'IA peut-elle faire dérailler la transition énergétique ?
L’essor rapide de l’intelligence artificielle repose sur des infrastructures de calcul extrêmement énergivores. Data centers, réseaux électriques sous tension, recours au gaz ou au nucléaire : cette dynamique interroge directement la cohérence de la transition énergétique mondiale.

Les fameux « data centers » (DC) sont au cœur de nos sociétés numériques. Ils hébergent des serveurs informatiques et des systèmes de stockage pour traiter et conserver les données. Ils intègrent des équipements de refroidissement, des réseaux internes, des dispositifs de sécurité et l’infrastructure électrique nécessaire pour garantir leur fonctionnement continu. Sans eux, le cloud, le streaming, les services en ligne et l’intelligence artificielle ne pourraient tout simplement pas fonctionner.
En 2024, ces DC ont consommé 415 TWh d’électricité dans le monde, soit autant que la consommation annuelle de la France entière. À l’échelle mondiale, elles représentent 2 à 3 % de l’électricité. Les projections prévoient 620 à 1050 TWh dès 2026 et environ 945 TWh en 2030. En France, RTE anticipe un triplement de la consommation d’ici 2035, notamment avec l’ouverture de 35 data centers dédiés à l’IA.
L'IA, moteur de surconsommation énergétique
L’IA modifie profondément la nature de la demande énergétique. Une requête sur un outil génératif consomme environ dix fois plus d’électricité qu’une recherche classique. Les centres spécialisés dans l’IA affichent des besoins quatre à cinq fois supérieurs à ceux des data centers traditionnels, en raison de la densité de calcul et des systèmes de refroidissement.
Aujourd’hui, l’IA représente environ 20 % de la consommation électrique des data centers, et cette part pourrait atteindre près de 50 % d’ici 2030. L’entraînement d’un modèle de grande taille, comme GPT-5, mobilise jusqu’à 650 MWh, soit l’équivalent de la consommation annuelle de 60 foyers français.
Réseaux sous pression et recours au gaz ou au nucléaire
Cette croissance rapide met les réseaux sous tension. Aux États-Unis et dans d’autres régions du monde, la capacité de raccordement n’est parfois pas suffisante. Certains opérateurs choisissent alors de produire leur électricité sur place, en combinant énergies renouvelables et gaz fossile.
Un exemple récent illustre cette dynamique : le groupe américain Boom a levé 300 millions de dollars pour transformer son moteur supersonique Symphony en turbine à gaz baptisée Superpower. La start-up Crusoe, associée à Stargate d’OpenAI et d’Oracle, a commandé pour 1,25 milliard de dollars ces turbines capables de fournir une électricité continue aux data centers. Selon Blake Scholl, fondateur de Boom :
Des solutions industrielles comme les turbines dérivées de moteurs d’avion permettent une installation rapide et ne nécessitent pas d’eau. Leur rendement reste limité et leur impact climatique réel : avec les fuites de méthane, le gaz devient presque aussi émissif que le pétrole.
Le nucléaire est également mobilisé. Microsoft prévoit de redémarrer un réacteur arrêté pour des raisons économiques, tandis que des projets de SMR visent à alimenter directement des data centers. Ces options bas-carbone sur le plan électrique participent toutefois à une hausse globale de la demande énergétique.
Sobriété, efficacité, choix collectifs
Des leviers concrets existent pour limiter l’impact. Le PUE (Power Usage Effectiveness), indicateur de performance énergétique, descend à 1,09 pour les meilleurs centres, contre une moyenne française de 1,6. La récupération de chaleur fatale représente un potentiel de 3,6 TWh par an en France, capable d’alimenter réseaux de chaleur, ou équipements publics.
La véritable question est de savoir pour quels usages nous déployons l’IA et selon quelles priorités. Bien orientée, l’IA peut soutenir la transition énergétique, améliorer la recherche climatique et optimiser les systèmes. Mal cadrée, elle risque d’exercer une pression durable sur les réseaux et les émissions. La transition énergétique ne déraillera pas par accident : elle dépend des décisions que nous prenons dès aujourd’hui.
Références de l'article
Bastien, B.(2025, 12 décembre). Un moteur d’avion supersonique transformé en turbine à gaz : le pari fou de Boom pour nourrir les data centers de l’IA. Les Echos
Rolland, C. (2025, 11 décembre). Consommation d’énergie des data centers : enjeux à l’ère de l’IA. Optima Énergie