Zéro vélo-cargo, zéro canicule : pourquoi le climat disparaît des fictions françaises ?

Alors que 93 % des Français constatent la hausse des événements climatiques extrêmes, nos écrans semblent vivre dans un monde parallèle : ni chaleur, ni vélo-cargo, ni sobriété. Comment expliquer ce grand silence climatique de la fiction française ?

On attendrait que nos fictions, miroirs de la société, intègrent la crise climatique dans leurs trames.
On attendrait que nos fictions, miroirs de la société, intègrent la crise climatique dans leurs trames.

Les Français n’ont jamais été aussi lucides face au dérèglement climatique : selon un sondage Ipsos pour le Réseau Action Climat, 93 % constatent la hausse des événements extrêmes, 91 % l’attribuent au changement climatique, et 89 % s’en disent inquiets, dont un tiers « très inquiets ». Mais sur nos écrans, le thermomètre ne monte jamais.

Une étude de l’Observatoire de la Fiction, publiée en 2025, révèle qu’en moyenne, une mention d’écologie n’apparaît qu’une fois toutes les 2 heures 40 de fiction française. Et dans 91 % des cas, il ne s’agit que d’une simple réplique, sans incidence sur l’intrigue. Autrement dit, le climat reste une toile de fond silencieuse, jamais un moteur de récit.

Des mondes de rêve, sans urgence

Vous cherchez des récits où une canicule durable perturbe le quotidien des personnages ? Où une catastrophe naturelle change le cours d’une intrigue ? C’est simple : le cours des choses n'est jamais perturbé par les conséquences du réchauffement. Le climat est absent, et par chance, le climatoscepticisme aussi.

L’analyse de 268 heures de fiction télévisée et des 55 films de la sélection officielle du Festival de Cannes 2025 confirme que les univers représentés restent épargnés par la crise écologique, alors que dans la vraie vie, la canicule vide les rues, les mégafeux redessinent nos paysages et les sécheresses s’installent.

Il n'y a pas que le journal télévisé qui nous confronte à la réalité. Les fictions le font aussi, même si ce sont… des fictions. Jean-Marc Jancovici

À l’écran, les personnages continuent d’habiter des logements souvent vastes et climatisés, d’adopter une alimentation majoritairement carnée, de rouler en voiture individuelle, le mode de mobilité hégémonique dans 100 % des films analysés, et de consommer comme si la planète n’avait pas de limite. Le vélo n’apparaît presque jamais, sauf dans quelques cas marginaux et dramatiques ; les transports en commun sont quasi absents.

75 % des films montrent au moins une espèce animale, mais dans 57 % des cas, sans interaction humaine. Le monde vivant devient un simple fond sonore, privé de sens.

Même les métiers reflètent ce déni : aucun personnage ne végétalise sa ville, ne travaille ni dans la rénovation énergétique ni dans la protection de la biodiversité. Les professions dites « essentielles à la transition », artisanat, agriculture, rail, santé environnementale, sont quasi absentes. À la place, policiers, juges et avocats occupent 31 % des rôles principaux, un miroir social totalement déformé, car ils représentent moins de 1 % de la réalité de l’emploi.

Quand la fiction débranche le réel

Là où Hollywood a longtemps façonné notre imaginaire de la modernité, la voiture, la technologie, le rêve américain, les fictions françaises ne parviennent pas encore à inventer un récit désirable de la transition.

Pourtant, l’écologie pourrait être un formidable moteur narratif. Quelques films montrent la voie. O riso e a faca du Portugais Pedro Pinho, seul film à faire de l’écologie un moteur dramaturgique, met en scène un ingénieur environnemental envoyé en Guinée-Bissau pour évaluer l’impact d’une route.

D’autres, comme Flow, un film d'animation qui imagine une planète bouleversée par un climat instable où les humains ont disparu, ou encore Sauvages qui célèbre la lutte contre la déforestation tropicale, s'emparent de la biodiversité ou de la destruction du vivant.

À Cannes, seulement 29 % des films évoquent l’écologie, le plus souvent sous forme de dialogue anecdotique.

Ces œuvres restent l’exception : seuls 11 % des personnages principaux expriment un souci écologique, souvent implicite, à travers un lien sensible à la nature ou une sobriété involontaire. Dans la majorité des films, les paysages naturels ne sont que des décors ; 43 % montrent une scène « ressourçante », sans lien avec l’intrigue.

Les chercheurs de l’Observatoire résument bien l’enjeu : les fictions ne se contentent pas de divertir ; elles fabriquent du réel. Car l’imaginaire précède toujours l’action. En ignorant la crise écologique, elles prolongent une forme d’amnésie collective, alors même que la société, elle, a déjà pris conscience de l’urgence.

Pour que la culture accompagne la transition, le défi n’est pas de moraliser, mais de montrer la beauté du vivant, la fragilité du monde, les gestes qui relient.

L’Observatoire appelle à une fiction plus lucide, plus courageuse, capable de raconter notre époque avec ses contradictions. Imaginer un héros qui pédale pour livrer des repas, un couple qui choisit la sobriété heureuse, une ville qui lutte contre la canicule… Ce n’est pas faire de la propagande : c’est raconter le réel.

Référence de l'article

Observatoire de la fiction. (2025, mai 13). Modes de vie et enjeux écologiques dans les films de la Sélection Officielle du 78e Festival de Cannes.