250 millions de déplacés : pourquoi la migration climatique n'est toujours pas au coeur des négociation à la COP30 ?
Chaque jour, 70 000 personnes sont arrachées à leur foyer par le climat. Alors pourquoi, malgré l’urgence, la migration climatique reste-t-elle encore en marge des négociations de la COP30 ?

Depuis dix ans, 250 millions de personnes ont été déplacées par des catastrophes climatiques : l’équivalent de 70 000 vies bouleversées chaque jour. Le rapport du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) documente l’ampleur des déplacements causés par des catastrophes climatiques : inondations, sécheresses, tempêtes et chaleurs extrêmes rendent la vie quotidienne invivable pour de nombreuses familles.
Tout un monde qui se déplace !
Le climat agit surtout comme un multiplicateur de risques, aggravant conflits, faim et précarité. À mi-2025, 117 millions de personnes étaient déjà déplacées par la guerre, la violence ou la persécution, et le dérèglement climatique ne cesse d’accentuer cette tragédie humaine.
Malgré cette réalité massive, la migration climatique reste un angle mort des négociations internationales. À la veille de la COP30 au Brésil, le HCR rappelle que trois quarts des déplacés vivent dans des pays à forte exposition climatique. Ces territoires, où les infrastructures sont fragiles, les conflits récurrents et l’accès à l'aide limité, reçoivent à peine un quart des financements climatiques nécessaires.
Comment expliquer alors que, malgré l’ampleur de la crise, les discussions multilatérales hésitent encore à en faire une priorité ?
Des crises locales, un phénomène global
Les exemples récents rappellent que personne n’est réellement à l’abri. Au Brésil, les inondations de 2024 dans l’État de Rio Grande do Sul ont tué 181 personnes et déplacé 580 000 habitants, dont 43 000 réfugiés déjà vulnérables. Un an plus tôt, le cyclone Mocha dévastait le Myanmar, frappant l’État de Rakhine où vivent 160 000 Rohingya dans des camps surpeuplés. « Perdre le peu qu’on avait », raconte Ma Phyu Ma, 37 ans, résume ce que signifie pour beaucoup l’impact du climat : une descente brutale dans la survie.
Loin de ces tempêtes, d’autres crises avancent lentement mais sûrement. En Iran, une sécheresse historique a mis 10 millions d’habitants de Téhéran au bord d’une possible évacuation. Certains barrages sont totalement à sec, d’autres à 8 % de leur capacité, et la capitale ne dispose parfois que de moins de deux semaines de réserves d’eau potable.
Et partout dans le monde, la même dynamique se répète : les sécheresses s'intensifient, les précipitations se raréfient, et les phénomènes extrêmes s’accentuent, comme le confirme le GIEC. Ces évolutions créent des « zones de non-viabilité » où l’installation humaine devient de plus en plus difficile.
Une mobilité forcée encore sans statut clair
L’un des freins majeurs à la prise en compte de la migration climatique est juridique : il n’existe pas aujourd’hui de statut international de « réfugié climatique ». Les populations déplacées pour des raisons environnementales restent donc largement invisibles dans les textes officiels. En pratique, cela signifie moins de protections, moins de financements, moins de capacités d’adaptation, alors même que les mouvements forcés se multiplient dans des pays déjà fragiles comme le Tchad, le Soudan, la Syrie ou le Yémen.
S’ajoute une difficulté fondamentale : la migration environnementale est « multicausale ». Le climat n’agit jamais seul. Il se combine à la pauvreté, à l’insécurité, à l’absence de services publics et aux inégalités économiques. Dans de nombreuses régions, c’est l’accumulation de ces facteurs qui pousse à partir, ou qui, au contraire, piège les familles incapables de migrer.
Les conséquences humanitaires sont immenses : en 2024, un tiers des urgences déclarées par le HCR étaient liées à des événements climatiques. Dans certains camps, les déplacements se répètent saison après saison, au point de devenir la norme. Le Tchad, par exemple, a déjà accueilli plus de 1,4 million de réfugiés et subi en 2024 des inondations touchant 1,3 million de personnes, soit plus que les quinze années précédentes réunies. Pourtant, ces pays émettent une part infime des gaz à effet de serre responsables du dérèglement actuel.
À la COP30, la santé comme porte d’entrée pour parler migrations
Cette année à Belém, la COP30 met davantage en lumière le lien entre climat, santé et mobilité, notamment lors d’un événement conjointement organisé par l’OMS, l’ONU et la Croix-Rouge. L’objectif est de comprendre la migration climatique non seulement comme un déplacement physique, mais comme une crise sanitaire. En 2023, plus de 20 millions de personnes ont été déplacées par des catastrophes soudaines, et les projections estiment que 216 millions de personnes pourraient devoir se déplacer à l’intérieur de leur pays d’ici 2050.
Les intervenants plaident pour des systèmes de santé « résilients au climat », capables d’accueillir migrants et déplacés dans la durée. Cela implique de renforcer les infrastructures locales, mais aussi d’intégrer ces populations à la couverture sanitaire universelle, d’améliorer les systèmes d’alerte et de mieux anticiper les impacts sociaux, des pénuries alimentaires aux maladies vectorielles.
Ces discussions prennent enfin en compte une dimension trop longtemps négligée : les femmes et les jeunes filles sont disproportionnellement touchées par l’immobilité forcée, la précarité, les violences et les risques sanitaires, tandis que les hommes migrent davantage pour des raisons économiques. La migration climatique est donc profondément genrée, et cette réalité doit être intégrée aux politiques d'adaptation.
Ce que la COP30 doit affronter
Si les négociations tardent, ce n’est pas faute d’alertes scientifiques, mais faute de volonté politique. La migration climatique bouscule nos représentations. Elle oblige à repenser les frontières, la solidarité internationale et même la définition de l’habitabilité. Certains camps de réfugiés pourraient connaître jusqu’à 200 jours par an de chaleur dangereuse d’ici 2050, rendant certains lieux tout simplement invivables.
Profitablement, les acteurs humanitaires, sanitaires et scientifiques convergent de plus en plus pour intégrer la mobilité dans l’agenda climatique. Comme le rappelle Filippo Grandi, haut-commissaire du HCR : « Si nous voulons la stabilité, nous devons investir là où les gens sont le plus à risque. »
Cette COP ne pourra plus se contenter de promesses. Elle doit placer la migration climatique au centre des décisions, non par charité, mais par responsabilité commune.
Références de l'article
Lakhani, N. (2025, 9 novembre). Climate disasters displaced 250 million people in past 10 years, UN report finds. The Guardian.
Reporterre. (2025, 10 novembre). Sécheresse historique en Iran : les 10 millions d’habitants de Téhéran menacés d’évacuation.