Comportement grégaire : des chercheurs découvrent que les animaux vivant en groupe se synchronisent sur le plan neuronal

Les bancs et les essaims se coordonnent parce que les animaux qui les composent synchronisent leur activité neurologique. C’est ce qu’ont découvert des biologistes du comportement. Selon eux, ces animaux partagent une même perception de l’espace et se comportent comme un seul et même organisme.

Les animaux vivant en groupe se synchronisent sur le plan cognitif et partagent une carte mentale commune de leur environnement, affirment les chercheurs. Photo : Karsten Paulick/Pixabay
Les animaux vivant en groupe se synchronisent sur le plan cognitif et partagent une carte mentale commune de leur environnement, affirment les chercheurs. Photo : Karsten Paulick/Pixabay
Lisa Seyde
Lisa Seyde Meteored Allemagne 8 min

Lorsque des centaines d’étourneaux volent dans le ciel comme un nuage noir, leur ballet semble guidé par une main invisible. Pourtant, derrière ce spectacle harmonieux ne se cache aucune règle rigide, mais bien une coordination neurologique entre les différents individus.

Le comportement grégaire désigne une action coordonnée et auto-organisée de nombreux individus sans direction centrale. On en trouve des exemples chez les bancs de poissons, les vols d’oiseaux, les colonies de fourmis ou les essaims de criquets.

Une nouvelle étude de l’université de Constance et de l’Institut Max-Planck de biologie du comportement révèle que, lors de ces comportements collectifs, l’activité neuronale des animaux se synchronise : les individus partagent une carte mentale commune de l’espace et agissent ainsi comme un seul organisme. Les résultats ont été publiés dans la revue Nature Communications.

Les travaux des chercheurs du cluster d’excellence Centre for the Advanced Study of Collective Behaviour (CASCB) suggèrent que le comportement grégaire repose sur une structure neuronale simple et largement répandue, appelée réseau attracteur en anneau. Ce principe, initialement connu en neurosciences pour son rôle dans l’orientation spatiale, pourrait expliquer comment les animaux coordonnent leurs mouvements sans contrôle externe.

Du circuit neuronal au mouvement collectif

Le réseau attracteur en anneau peut être décrit comme une carte neuronale circulaire qui code les directions et les positions dans l’espace. Chaque animal traite ainsi son environnement à l’aide de ce système, en identifiant notamment la position de ses congénères ou de points de repère fixes.

Lorsque de nombreux individus interagissent, leurs schémas neuronaux se synchronisent. Résultat : les animaux s’alignent les uns sur les autres, et de la somme de leurs décisions individuelles naît un mouvement collectif.

Ces travaux remettent en question un principe de base défendu depuis des décennies dans l’étude du comportement grégaire. Jusqu’ici, on pensait que les animaux suivaient des règles simples, comme « garde tes distances », « suis ton voisin » ou « reste à proximité ».

Les illustrations montrent comment l’activité du réseau évolue au fil du temps et quels schémas de mouvement en résultent – d’une part du point de vue propre à l’animal (égocentrique) et d’autre part depuis une perspective extérieure (allocentrique). Photo : Salahshour & Couzin, 2025
Les illustrations montrent comment l’activité du réseau évolue au fil du temps et quels schémas de mouvement en résultent – d’une part du point de vue propre à l’animal (égocentrique) et d’autre part depuis une perspective extérieure (allocentrique). Photo : Salahshour & Couzin, 2025

De tels modèles permettaient certes de simuler des comportements collectifs sur ordinateur, mais ils ignoraient les processus neurobiologiques qui régissent le comportement réel. Le nouveau modèle montre au contraire que le comportement grégaire découle directement des mécanismes de navigation du cerveau.

Perspective spatiale vs. perspective corporelle

Les chercheurs parlent de comportement grégaire allocentrique. Dans ce cas, les animaux ne se réfèrent pas uniquement à leurs voisins immédiats, mais aussi à des points de repère stables de leur environnement. Le cerveau élabore alors une carte commune liée à l’espace – une perception partagée de celui-ci.

« C’est une solution élégante. Au lieu d’avoir besoin de nouvelles règles pour chaque comportement, les animaux utilisent un système intégré et flexible, qui crée de la complexité à partir de la simplicité. »

– Dr Mohammad Salahshour, biologiste du comportement, MPI et CASCB de l’université de Constance.

Fait remarquable, les animaux peuvent passer d’une perspective à l’autre : la perspective allocentrique (liée à l’espace) et la perspective égocentrique (liée au corps). Les simulations ont montré que cette alternance améliore nettement la stabilité et la coordination du groupe. La perspective allocentrique favorise l’alignement collectif, tandis que la perspective égocentrique permet de réagir aux voisins et d’éviter les collisions.

« Cette flexibilité est le secret de leur capacité d’adaptation », explique le professeur Iain D. Couzin, également biologiste du comportement au CASCB. « Le cerveau ne privilégie pas un système plutôt qu’un autre – il utilise les deux pour naviguer au sein de la dynamique d’un groupe en mouvement. »

Différents schémas de mouvement collectif observés chez des agents allocentriques au sein de grands groupes (N = 320 agents) : les mouvements d’expansion et d’implosion du groupe entraînent des transitions d’état hautement coordonnées. Photo : Salahshour & Couzin, 2025
Différents schémas de mouvement collectif observés chez des agents allocentriques au sein de grands groupes (N = 320 agents) : les mouvements d’expansion et d’implosion du groupe entraînent des transitions d’état hautement coordonnées. Photo : Salahshour & Couzin, 2025

Le modèle suggère que le comportement collectif ne nécessite pas de circuits neuronaux spécifiques. Il pourrait plutôt provenir de mécanismes fondamentaux déjà présents chez des ancêtres solitaires. C’est peut-être là que réside l’origine évolutive de l’intelligence collective.

Le comportement grégaire pourrait ainsi être un phénomène émergent issu d’une perception partagée.

Des observations empiriques menées sur des poissons et des criquets soutiennent cette hypothèse. Eux aussi réagissent à des changements subtils de leur environnement, sans qu’une communication explicite soit nécessaire. L’ordre naît de l’interaction – un principe qui pourrait également intéresser le développement de systèmes artificiels.

De nouvelles perspectives pour la robotique et l’intelligence artificielle

En robotique collective, il serait possible d’imiter à l’avenir la double logique de navigation du cerveau animal. Les robots pourraient alors s’orienter sans commande centrale ni GPS, en formant – à l’instar des animaux – des cartes collectives de leur environnement.

Parallèlement, des processus d’apprentissage et de prise de décision collective peuvent être intégrés, éléments essentiels au développement de systèmes adaptatifs et autonomes. Le comportement grégaire allocentrique montre ainsi que les processus cognitifs peuvent constituer la base même de l’intelligence collective.

Ce que nous voyons dans le ciel sous la forme d’un nuage d’oiseaux frémissant est donc l’expression d’une synchronisation neurologique. Cela ouvre une toute nouvelle perspective sur le mouvement collectif dans la nature.

Référence de l'article :

Salahshour, M., & Couzin, I. D. (2025): Allocentric Flocking. Nature Communications.