Comportement grégaire : des chercheurs découvrent que les animaux vivant en groupe se synchronisent sur le plan neuronal
Les bancs et les essaims se coordonnent parce que les animaux qui les composent synchronisent leur activité neurologique. C’est ce qu’ont découvert des biologistes du comportement. Selon eux, ces animaux partagent une même perception de l’espace et se comportent comme un seul et même organisme.

Lorsque des centaines d’étourneaux volent dans le ciel comme un nuage noir, leur ballet semble guidé par une main invisible. Pourtant, derrière ce spectacle harmonieux ne se cache aucune règle rigide, mais bien une coordination neurologique entre les différents individus.
Une nouvelle étude de l’université de Constance et de l’Institut Max-Planck de biologie du comportement révèle que, lors de ces comportements collectifs, l’activité neuronale des animaux se synchronise : les individus partagent une carte mentale commune de l’espace et agissent ainsi comme un seul organisme. Les résultats ont été publiés dans la revue Nature Communications.
Les travaux des chercheurs du cluster d’excellence Centre for the Advanced Study of Collective Behaviour (CASCB) suggèrent que le comportement grégaire repose sur une structure neuronale simple et largement répandue, appelée réseau attracteur en anneau. Ce principe, initialement connu en neurosciences pour son rôle dans l’orientation spatiale, pourrait expliquer comment les animaux coordonnent leurs mouvements sans contrôle externe.
Du circuit neuronal au mouvement collectif
Le réseau attracteur en anneau peut être décrit comme une carte neuronale circulaire qui code les directions et les positions dans l’espace. Chaque animal traite ainsi son environnement à l’aide de ce système, en identifiant notamment la position de ses congénères ou de points de repère fixes.
Ces travaux remettent en question un principe de base défendu depuis des décennies dans l’étude du comportement grégaire. Jusqu’ici, on pensait que les animaux suivaient des règles simples, comme « garde tes distances », « suis ton voisin » ou « reste à proximité ».

De tels modèles permettaient certes de simuler des comportements collectifs sur ordinateur, mais ils ignoraient les processus neurobiologiques qui régissent le comportement réel. Le nouveau modèle montre au contraire que le comportement grégaire découle directement des mécanismes de navigation du cerveau.
Perspective spatiale vs. perspective corporelle
Les chercheurs parlent de comportement grégaire allocentrique. Dans ce cas, les animaux ne se réfèrent pas uniquement à leurs voisins immédiats, mais aussi à des points de repère stables de leur environnement. Le cerveau élabore alors une carte commune liée à l’espace – une perception partagée de celui-ci.
– Dr Mohammad Salahshour, biologiste du comportement, MPI et CASCB de l’université de Constance.
Fait remarquable, les animaux peuvent passer d’une perspective à l’autre : la perspective allocentrique (liée à l’espace) et la perspective égocentrique (liée au corps). Les simulations ont montré que cette alternance améliore nettement la stabilité et la coordination du groupe. La perspective allocentrique favorise l’alignement collectif, tandis que la perspective égocentrique permet de réagir aux voisins et d’éviter les collisions.
« Cette flexibilité est le secret de leur capacité d’adaptation », explique le professeur Iain D. Couzin, également biologiste du comportement au CASCB. « Le cerveau ne privilégie pas un système plutôt qu’un autre – il utilise les deux pour naviguer au sein de la dynamique d’un groupe en mouvement. »

Le modèle suggère que le comportement collectif ne nécessite pas de circuits neuronaux spécifiques. Il pourrait plutôt provenir de mécanismes fondamentaux déjà présents chez des ancêtres solitaires. C’est peut-être là que réside l’origine évolutive de l’intelligence collective.
Des observations empiriques menées sur des poissons et des criquets soutiennent cette hypothèse. Eux aussi réagissent à des changements subtils de leur environnement, sans qu’une communication explicite soit nécessaire. L’ordre naît de l’interaction – un principe qui pourrait également intéresser le développement de systèmes artificiels.
De nouvelles perspectives pour la robotique et l’intelligence artificielle
En robotique collective, il serait possible d’imiter à l’avenir la double logique de navigation du cerveau animal. Les robots pourraient alors s’orienter sans commande centrale ni GPS, en formant – à l’instar des animaux – des cartes collectives de leur environnement.
Parallèlement, des processus d’apprentissage et de prise de décision collective peuvent être intégrés, éléments essentiels au développement de systèmes adaptatifs et autonomes. Le comportement grégaire allocentrique montre ainsi que les processus cognitifs peuvent constituer la base même de l’intelligence collective.
Ce que nous voyons dans le ciel sous la forme d’un nuage d’oiseaux frémissant est donc l’expression d’une synchronisation neurologique. Cela ouvre une toute nouvelle perspective sur le mouvement collectif dans la nature.
Référence de l'article :
Salahshour, M., & Couzin, I. D. (2025): Allocentric Flocking. Nature Communications.