Changement climatique : pourquoi les océans verdissent aux pôles et bleuissent ailleurs ?
Le bleu profond des océans n’est plus uniforme : vers les pôles, les eaux verdissent ; à l’équateur, elles pâlissent. Pourquoi cette transformation silencieuse ? Quelles conséquences ?

Depuis l’espace, nos océans n’ont plus tout à fait la même couleur. La NASA a capté durant ces deux dernières décennies, une transformation singulière : les eaux polaires verdissent, tandis que les régions tropicales et subtropicales s’embrasent d’un bleu de plus en plus profond. Non, ce n’est pas une simple variation chromatique due à la lumière ou à la saison. Une étude publiée le 19 juin 2025 dans la revue Science nous apporte les explications scientifiques.
Phytoplanctons, chlorophylle et couleurs océaniques
La couleur de l’océan dépend en grande partie de la présence de chlorophylle, un pigment vert que l’on retrouve dans les cellules des phytoplanctons. Ces organismes, bien que microscopiques, sont à la base de la chaîne alimentaire marine et jouent un rôle crucial dans le cycle du carbone planétaire : en absorbant le CO2 par photosynthèse, ils agissent comme de véritables "éponges à carbone".
Entre 2003 et 2022, des données satellitaires de la NASA ont permis de suivre l’évolution de cette chlorophylle à la surface des océans. Les chercheurs ont découvert une augmentation de la concentration de chlorophylle aux hautes latitudes, et une diminution marquée dans les zones équatoriales. L’image qui se dessine depuis l’espace est celle d’un océan qui verdit au nord et qui bleuit vers les tropiques.
Des méthodes innovantes
Pour mieux cerner ce phénomène, les chercheurs ont utilisé une approche originale inspirée de l’économie : le coefficient de Gini qui varie entre 0 (répartition parfaitement égalitaire) et 1 (répartition totalement inégalitaire),et la courbe de Lorenz,(illustre graphiquement cette inégalité), outils servant habituellement à mesurer les inégalités de revenu ou de richesse dans une population.
Mais ici, ce ne sont pas les fortunes des individus qui sont analysées, mais la distribution de la chlorophylle dans les océans. La logique est la même : plus la courbe s’éloigne de l’égalité parfaite, plus les disparités sont fortes.
Appliqués à la répartition de la chlorophylle dans les océans, ces outils ont permis de constater que les zones déjà riches en chlorophylle le deviennent encore plus, tandis que les zones pauvres s’appauvrissent davantage.
Cette dynamique de concentration rappelle certains mécanismes sociaux, mais ici transposée à l’échelle planétaire et biologique.
Le réchauffement, moteur principal de la transformation
Les chercheurs ont exploré plusieurs facteurs : température de surface, profondeur de la couche de mélange, lumière disponible, vitesse du vent… Seule la hausse des températures marines a montré une corrélation significative avec l’évolution de la chlorophylle.
Depuis 2005, le réchauffement des océans s’est accéléré, et ce réchauffement semble favoriser une saison de croissance plus longue pour le phytoplancton dans les régions polaires.
Mais l’étude reste prudente : elle ne peut pas encore attribuer définitivement ces changements au seul changement climatique. En effet, la période étudiée est trop courte pour exclure l’effet de phénomènes cycliques comme El Niño.
Quels risques ?
Ce bouleversement du phytoplancton n’est pas anodin. Si les tendances actuelles se poursuivent, les pêcheries mondiales pourraient être gravement perturbées, surtout dans les pays dépendants de la pêche équatoriale, comme les États insulaires du Pacifique. Une chute du phytoplancton signifie moins de nourriture pour les poissons, et donc une pression accrue sur les chaînes alimentaires marines.
Le stockage du carbone constitue également un autre enjeu. Quand le phytoplancton meurt, il emporte avec lui du carbone vers les profondeurs. Si cette sédimentation se fait dans des zones où l’eau ne remonte pas facilement, le CO2 reste piégé plus longtemps. Mais si le phytoplancton décline dans ces zones, le pouvoir de stockage du carbone par l’océan pourrait diminuer, affaiblissant ainsi un rempart naturel contre le réchauffement.
À l'échelle géologique, rien n'est figé
En parallèle, des recherches japonaises rappellent que cette dynamique n’est pas totalement nouvelle. Cette étude rappelle que les océans étaient jadis verts, à l’époque archéenne (il y a plus de 2,5 milliards d’années), en raison de la forte présence de fer oxydé et de l’évolution de la photosynthèse. Des bactéries primitives comme les cyanobactéries, qui utilisaient un pigment secondaire (phycoérythrobiline), dominaient alors les océans.
Attention, il n’existe pas de contradiction directe entre les études récentes et les travaux géologiques. Ces derniers offrent un éclairage sur les changements anciens de l’océan, tandis que les études satellitaires décrivent un phénomène actuel, potentiellement amplifié par le changement climatique.
Sources de l'article :
Haipeng Zhao et al., Greener green and bluer blue: Ocean poleward greening over the past two decades.Science 388,1337-1340(2025). DOI:10.1126/science.adr9715
Matsuo, T., Ito-Miwa, K., Hoshino, Y. et al. Archaean green-light environments drove the evolution of cyanobacteria’s light-harvesting system. Nat Ecol Evol 9, 599–612 (2025). https://doi.org/10.1038/s41559-025-02637-3