Des experts de l’ESA simulent la plus grande tempête solaire jamais vue : la question n’est pas si, mais quand !

Les experts de l’Agence spatiale européenne (ESA) ont recréé la « tempête de Carrington » afin de tester les systèmes de sécurité. Sans GPS et avec des satellites hors de contrôle, la simulation a révélé l’extrême vulnérabilité de la Terre.

Le Soleil, source de vie, est aussi notre principale menace. L’ESA se prépare à une éjection de masse coronale capable de paralyser la technologie en orbite et le réseau électrique.
Le Soleil, source de vie, est aussi notre principale menace. L’ESA se prépare à une éjection de masse coronale capable de paralyser la technologie en orbite et le réseau électrique.

Nous vivons dans une société totalement dépendante des satellites, de la navigation GPS et des réseaux électriques. Une tempête solaire extrême pourrait faire régresser des décennies de progrès technologique.

C’est pourquoi, au Centre européen des opérations spatiales (ESOC) de l’ESA, les équipes de mission ont récemment affronté le pire scénario possible : l’impact d’une tempête solaire modélisée à l’échelle de l’événement de Carrington, avec une magnitude X45, la classe la plus élevée et la plus catastrophique sur l’échelle des éruptions solaires.

L’événement de Carrington s’est produit en septembre 1859. Ce fut la tempête géomagnétique la plus puissante jamais enregistrée dans l’histoire moderne. Elle a provoqué des aurores boréales visibles jusque dans les Caraïbes et incendié les réseaux de télégraphes en Amérique du Nord et en Europe.

La simulation a été réalisée dans le cadre des préparatifs du lancement du satellite Sentinel-1D. Son objectif était de pousser les opérateurs et leurs systèmes jusqu’à leurs limites absolues.

Impressionnantes aurores au-dessus de la Terre, photographiées en août par l’astronaute Thomas Pesquet depuis la Station spatiale internationale. Image ESA.
Impressionnantes aurores au-dessus de la Terre, photographiées en août par l’astronaute Thomas Pesquet depuis la Station spatiale internationale. Image ESA.

L’exercice a été un effort coordonné impliquant le Bureau de la météo spatiale et le Bureau des débris spatiaux de l’ESA, afin de simuler les impacts sur plusieurs missions et de coordonner la réponse à une crise transcontinentale.

L’impact en trois phases : sans GPS ni communication

La tempête simulée a frappé la Terre en trois phases destructrices, chacune ayant un effet spécifique sur les infrastructures spatiales et terrestres :

L’éruption solaire (onde électromagnétique) : voyageant à la vitesse de la lumière, l’éruption X45 a atteint la planète en seulement huit minutes. Cette intense radiation de rayons X et ultraviolets a immédiatement perturbé les systèmes radar, les communications et neutralisé la navigation Galileo et GPS. Les stations au sol ont perdu la capacité de suivre les satellites, notamment dans les régions polaires.

ChatGPT a dit : L’événement de Carrington (1859) détient le record historique. Une tempête d’une telle ampleur provoquerait aujourd’hui l’effondrement total des réseaux de communication et de la navigation GPS.
ChatGPT a dit : L’événement de Carrington (1859) détient le record historique. Une tempête d’une telle ampleur provoquerait aujourd’hui l’effondrement total des réseaux de communication et de la navigation GPS.

Particules à haute énergie : entre 10 et 20 minutes plus tard, des protons et des électrons accélérés presque à la vitesse de la lumière sont arrivés. Ces particules ont commencé à perturber l’électronique embarquée des satellites, provoquant des « inversions de bits » (changements d’état dans la mémoire) et créant un risque de pannes permanentes dans les systèmes.

L’éjection de masse coronale (CME) : quinze heures après l’éruption, la phase la plus destructrice est arrivée. Une masse colossale de plasma chaud voyageant à 2 000 kilomètres par seconde. Cette CME a déclenché une tempête géomagnétique catastrophique, accompagnée d’aurores visibles jusqu’à des latitudes aussi basses que la Sicile, mais qui, au sol, a provoqué des surtensions dans les longues structures métalliques, entraînant l’effondrement du réseau électrique.

Une orbite hors de contrôle

Dans l’espace, les effets de la CME ont été spectaculaires. Le plasma chaud a fait gonfler l’atmosphère terrestre, augmentant la résistance ou la traînée exercée sur les satellites en orbite basse.

Avant chaque lancement de l’ESA, les équipes de mission se soumettent à une rigoureuse phase de simulation. Elles y répètent les premiers instants d’un satellite dans l’espace tout en préparant le contrôle de mission à faire face à toute anomalie. Image : ESA.
Avant chaque lancement de l’ESA, les équipes de mission se soumettent à une rigoureuse phase de simulation. Elles y répètent les premiers instants d’un satellite dans l’espace tout en préparant le contrôle de mission à faire face à toute anomalie. Image : ESA.

Jorge Amaya, coordinateur de la modélisation du climat spatial à l’ESA, a expliqué la gravité de ce phénomène : « Si une tempête d’une telle ampleur survenait, la traînée des satellites pourrait augmenter de 400 %, avec des pics locaux de densité atmosphérique. Cela n’affecterait pas seulement les risques de collision, mais réduirait aussi la durée de vie des satellites en raison d’une plus forte consommation de carburant pour compenser la dégradation de l’orbite. »

La traînée satellitaire correspond à la résistance que subissent les satellites en orbite basse à cause de la friction avec les couches les plus externes et ténues de l’atmosphère terrestre. Lorsqu’une tempête solaire extrême se produit, le plasma provoque une expansion de l’atmosphère, qui devient alors plus dense.

Le chaos s’est amplifié avec les alertes de collision impliquant des débris spatiaux et d’autres engins, la dégradation des données rendant les prédictions presque impossibles à interpréter. Des capteurs critiques, tels que les suiveurs d’étoiles (utilisés pour orienter les satellites), ont été aveuglés par la radiation.

La clé n’est pas de l’éviter, mais de la prévoir

La simulation a permis de tirer une leçon : face à un événement solaire d’une telle intensité, l’objectif ne peut pas être d’éviter totalement les dégâts, mais d’en atténuer les conséquences et de maintenir le satellite opérationnel le plus longtemps possible.

L’exercice a également mis en évidence la nécessité d’améliorer les systèmes de prévision et de protection. Pour cela, le programme de sécurité spatiale de l’ESA développe le système de capteurs du climat spatial distribué (D3S) et, de manière plus ambitieuse, la mission Vigil. Cette sonde, dont le lancement est prévu en 2031, observera le Soleil depuis le point de Lagrange 5 et pourra avertir la Terre des dangers qui se dirigent vers elle.

La mission Vigil de l’ESA, dont le lancement est prévu en 2031, visera à surveiller le Soleil depuis son « flanc » afin de fournir plusieurs jours d’alerte face à des événements solaires extrêmes comme celui simulé.
La mission Vigil de l’ESA, dont le lancement est prévu en 2031, visera à surveiller le Soleil depuis son « flanc » afin de fournir plusieurs jours d’alerte face à des événements solaires extrêmes comme celui simulé.

Gustavo Baldo Carvalho, chef de la simulation pour Sentinel-1D, a résumé la perspective des scientifiques après l’exercice : « Simuler l’impact d’un tel événement revient à prédire les effets d’une pandémie : nous ne ressentirons son véritable impact sur notre société qu’après son occurrence, mais nous devons être prêts et disposer de plans d’action pour réagir à tout moment. La conclusion essentielle est qu’il ne s’agit pas de savoir si cela arrivera, mais quand », a-t-il souligné.