Les vérités choquantes sur le climat, selon un expert mondial : la France aussi concernée ?
La transition énergétique ne sera ni rapide, ni simple. Václav Smil, le plus grand expert mondial en matière d'énergie, nous rappelle des vérités brutes que la France doit entendre.

Parfois, il faut oser écouter ce que l’on ne veut pas entendre. Václav Smil n’est pas un prophète de malheur. Il est ce que l’on appelle un réaliste lucide. Auteur de plus de soixante ouvrages, ce scientifique tchéco-canadien est décrit par la revue Science comme « le plus grand expert mondial dans le domaine de l’énergie ». Et ses constats, bien que souvent dérangeants, méritent toute notre attention, en France comme ailleurs.
Dans son livre « 2050. Pourquoi un monde sans carbone est presque impossible » , récemment traduit par la maison d’édition Arpa, il démonte les idées reçues avec une rigueur scientifique rarement égalée. Pour Smil, le monde vit dans une illusion confortable : celle d’une transition rapide vers des énergies propres. Or, les faits contredisent cette vision.
Des transitions longues… très longues
La première vérité qui dérange ? Les combustibles fossiles dominent encore notre paysage énergétique mondial. Les révolutions énergétiques ne se font pas en cinq ou dix ans. « Le passage du bois au charbon a duré un siècle », rappelle Smil. En 2022, 82 % de l’énergie consommée sont d'origine fossile, contre 86 % en 1997. En apparence, on observe une baisse, mais en réalité, leur utilisation absolue a augmenté de 55 %.
Remplacer ces sources d’ici 2050 relève presque de l’utopie. Pour espérer remplacer 500 exajoules (EJ) d’ici 2050, il faudrait ajouter 9,4 exajoules d’énergies alternatives chaque année, soit six fois plus que le rythme observé depuis 1997 qui n’a été que de 1,7 EJ par an.
Même l’Agence internationale de l’énergie (IAE), prévoit 70 % de dépendance aux fossiles en 2050 dans son scénario de politiques actuelles ; Smil est un peu plus optimiste : il table sur 50 à 60 %. Il estime que les renouvelables pourraient atteindre 30 à 40 %, le nucléaire un peu moins.
En tout cas, le message est clair : le pétrole et le gaz seront encore là en 2050. La France, qui vise la neutralité carbone, ne pourra s’abstraire de ces dynamiques globales.
Renouvelables : entre promesses et réalités
Deuxième vérité : les énergies renouvelables ne sont pas magiques. Et ce n’est pas une question de bonne volonté, mais d’intermittence : le vent ne souffle pas toujours, le soleil ne brille pas la nuit. Sans stockage massif ni solution de secours, ces sources restent fragiles. En 2022, l’éolien et le solaire ont produit à peine 12 % de l’électricité mondiale, contre 62 % pour le charbon et le gaz.
Le coût semble baisser, le solaire pourrait être 9 % moins cher que le gaz en 2027, mais il faut savoir que le coût réel est souvent masqué.
Une éolienne demande 500 tonnes de matériaux par mégawatt, contre seulement 30 tonnes pour une turbine à gaz. Et une fois les systèmes de stockage et d’adaptation des réseaux intégrés, l’énergie éolienne offshore peut tripler de coût.
Ce réalisme brutal n’est pas une condamnation des renouvelables, mais un appel à mieux comprendre leur potentiel réel, sans sombrer dans ce que Smil nomme la "pensée magique".
Métaux rares : les revers d'une révolution verte
Troisième vérité : la transition bas-carbone exige une quantité colossale de matériaux, en particulier des métaux rares. Pour le cuivre seul, la demande s’élèverait à 600 millions de tonnes d’ici 2050, soit l’équivalent de 30 ans de production actuelle.
Cela suppose de déplacer environ 100 milliards de tonnes de roche, avec des conséquences désastreuses sur les écosystèmes. Et la France, qui ne dispose pas de ces ressources en abondance, reste dépendante de chaînes d’approvisionnement internationales fortement concentrées. La Chine, par exemple, contrôle 90 % des terres rares. Une fragilité que les décideurs français ne peuvent plus ignorer.
Et la France dans tout ça ?
La France aime à se présenter en modèle avec son nucléaire, ses ambitions de neutralité carbone, et ses plans de transition. Mais elle n’est pas hors-sol. Et soyons lucides : nous importons aussi nos métaux, dépendons des marchés internationaux, et restons confrontée à l'intermittence des renouvelables.
Jean-Marc Jancovici, souvent comparé à Smil, partage cette approche rigoureuse et sans fard. Il voit l’énergie comme « une question de physique, et non d’illusions ». En France, sa voix commence à porter, mais reste minoritaire face à des discours parfois trop rassurants.
Smil ne dit pas qu’il ne faut rien faire. Il dit simplement que nous devons comprendre l’échelle, la complexité, et la lenteur des transitions énergétiques, avant d’agir efficacement. Car agir sur de fausses promesses, c’est perdre du temps, et du temps, nous n’en avons pas tant.
Alors oui, la France est concernée. Elle l’est au même titre que tous les pays : parce qu’elle rêve parfois plus vite qu’elle ne planifie, et qu’il est temps de remettre les faits à leur place face aux préjugés et aux modes.
Source de l'article
Campion, É. (2025, 18 mars). Les vérités qui dérangent sur le climat du plus grand expert mondial de l’énergie [Entretien]. Marianne