La géoingénierie peut-elle être stoppée par le droit international ? Quelles conséquences ?
Modifier à grande échelle le climat pour freiner le réchauffement ? L’idée progresse, mais le droit international ne suit pas. Découvrez l'état des lieux de ce cadre juridique à la traîne.

Des miroirs dans l’espace pour détourner le soleil, des nuages salés pour refroidir l’atmosphère, des océans « fertilisés » au fer…, le catalogue est aussi vaste qu’angoissant. Eh oui ! C'est bel et bien la réalité des projets que des scientifiques et entreprises envisagent pour « corriger » le dérèglement climatique sans en changer les causes.
Ce champ s’appelle la géoingénierie : la manipulation volontaire et à grande échelle du climat terrestre. Mais qui décide jusqu’où aller ? Et surtout, le droit international peut-il dire « stop » ?
Tout changer pour que rien ne change
On distingue trois grands types d’approches en géoingénierie : la modification des cycles naturels comme le pompage d’eau froide pour protéger la Grande Barrière de corail ou l’ensemencement des nuages, la captation du CO2 via des technologies de captage-stockage, la fertilisation des océans, l'altération de roches ou la sélection génétique de plantes plus absorbantes, et la réduction du rayonnement solaire à travers les miroirs spatiaux, les aérosols stratosphériques ou encore les surfaces réfléchissantes.
Si certaines idées remontent à plusieurs décennies, comme l’opération « Popeye » menée par les États-Unis au Vietnam pour provoquer des pluies, la géoingénierie connaît aujourd’hui un regain d’intérêt, notamment sous l’impulsion des grands groupes industriels et technologiques.
Elle est parfois perçue comme un outil technologique radical pour compenser l’inaction climatique, mais aussi comme un alibi pour maintenir un modèle économique polluant.
Pour Marine de Guglielmo Weber, chercheuse en environnement à l’Institut de recherches stratégiques de l’école militaire (Irsem), la géoingénierie incarne cette logique du « tout changer pour que rien ne change » : une fuite en avant technologique, où l’on tente d’ajuster la nature à nos besoins sans repenser nos modes de production et de consommation.
Si ces techniques offrent des pistes d’adaptation ou de mitigation, elles soulèvent aussi des enjeux éthiques, environnementaux et géopolitiques majeurs, encore largement débattus.
Le droit peut-il stopper cette course effrénée ?
La seule convention explicite à ce jour est la Convention ENMOD (1976), qui interdit l’usage de techniques de modification de l’environnement « à des fins militaires ou hostiles ». Elle est utile, mais reste limitée : que fait-on lorsque l’objectif est dit “pacifique”, comme lutter contre le réchauffement ?
Ici, le concept clé d’anticipation scientifique serait d’une grande utilité, détaillé par la professeure Samantha Besson, titulaire depuis 2019 de la chaire Droit international des institutions au Collège de France.
Selon elle, le droit ne doit pas attendre les catastrophes pour réagir. Il doit encadrer dès les premières recherches, en s’appuyant sur deux principes : précaution, ce qui veut dire qu'il faut agir même en cas d’incertitude, et prévention, qui signifie, éviter le mal avant qu’il ne survienne.
Mais l’obstacle est de taille : ces recherches sont à la fois potentiellement bénéfiques et dangereuses. Elles sont qualifiées de « double usage ». La géoingénierie marine, par exemple, pourrait absorber du CO2 mais menace aussi la biodiversité océanique de manière irréversible.
Quelques outils juridiques...encore trop mous ?
Certains traités sectoriels offrent une base. La Convention sur la diversité biologique (CDB) a instauré en 2010 un moratoire sur la géoingénierie climatique affectant la biodiversité. Le Protocole de Londres a aussi renforcé les règles après un scandale canadien en 2012, où des tonnes de sulfates de fer avaient été déversées sans autorisation.
Depuis 2013, il interdit la fertilisation marine, sauf si l’expérimentation est qualifiée de « légitime scientifiquement » et évaluée rigoureusement. Mais ces dispositifs sont souvent non contraignants, fragmentés, et surtout réactifs plutôt que préventifs.
Ce que propose Besson, c’est une révolution discrète mais puissante : inscrire l’anticipation dans les droits de l’Homme à la science. C’est-à-dire reconnaître que chaque être humain a droit non seulement aux bienfaits de la science, mais aussi à être protégé de ses méfaits. Cela permettrait de réconcilier liberté de recherche et protection des populations et de l’environnement, en imposant des limites internes à la science elle-même.
Sources de l'article
Maurel, C. (2025, avril). Les sorciers du climat. Le Monde diplomatique.
Collège de France. (2024, 1er août). Géoingénierie : que dit le droit international ?