La France entre en gare de la concurrence ferroviaire : le climat montera-t-il à bord ?
Trenitalia, Transdev, Le Train, Velvet… les nouveaux acteurs bousculent la SNCF. Entre promesse d’innovation et risques pour la cohésion territoriale, cette « libéralisation verte » du rail français profitera-t-elle vraiment au climat et aux voyageurs ?

Depuis la fin du monopole historique de la SNCF, la France s’engage pleinement dans une nouvelle ère : celle de la concurrence ferroviaire. Ce changement, voulu par l’Union européenne, vise à « ouvrir les marchés partout », y compris sur les rails. L’idée : stimuler l’innovation, baisser les prix et améliorer le service.
Mais cette ouverture servira-t-elle réellement la cause du climat ? Car le train, rappelons-le, reste le mode de transport longue distance le plus sobre en carbone, plus de cent fois moins émetteur que l’avion pour le fret, et près de 50 fois moins que la voiture pour les voyageurs.
La concurrence s'accélère !
En région Provence-Alpes-Côte d’Azur, pionnière de l’ouverture du rail, Transdev fait déjà rouler deux fois plus de trains régionaux qu’avant sur le Marseille-Nice, avec une note de satisfaction de 4,37/5 selon 2000 voyageurs interrogés. SNCF Voyageurs, de son côté, a remporté d’autres lots dans la région, promettant +75 % d’offre de train. Un vrai laboratoire grandeur nature de la « concurrence verte ».
Sur la grande vitesse, l’italienne Trenitalia fêtera ses quatre ans en France en décembre. Présente sur Paris-Lyon, Paris-Marseille et Paris-Milan, la compagnie affiche déjà 3 millions de passagers et un taux de ponctualité de 97 %. En 2026, elle fera rouler 8 Paris-Lyon quotidiens, contre une vingtaine pour la SNCF.
Et la bataille ne fait que commencer : Le Train, jeune opérateur 100% français, lancera ses liaisons Bordeaux–Rennes et Bordeaux–Nantes en 2026, avec 10 fréquences par jour et une politique tarifaire « stable et lisible ». Par ailleurs, dès 2028, Velvet, mené par l’ex-patronne des TGV Rachel Picard, fera son entrée sur les lignes Paris-Lyon-Marseille et Paris-Lille. Ses 12 rames Alstom seront conçues pour réduire l’empreinte carbone, avec 600 emplois à la clé.
Le paysage ferroviaire français s’apprête donc à accueillir de nouveaux visages… et peut-être de nouvelles promesses climatiques.
La SNCF en contre-attaque ?
Face à la montée en puissance des nouveaux entrants, SNCF Voyageurs réorganise entièrement son modèle. D’ici 2026, deux entités commerciales verront le jour : l’une consacrée à la grande vitesse européenne, un marché sur lequel la SNCF détient déjà 43 % des parts, et l’autre dédiée aux lignes de service public, incluant les TER, les Intercités et l’Île-de-France.
Le message est clair : le monopole est révolu. L’entreprise doit désormais évoluer dans un environnement concurrentiel tout en préservant son rôle stratégique d’aménageur du territoire, garantissant un service public cohérent et un maillage ferroviaire efficace à travers le pays.
Quand la concurrence rime avec fragilité
Sur le plan économique, l’ouverture à la concurrence a deux visages. Elle stimule l’innovation et peut faire baisser les prix, mais fragilise les lignes non rentables. Aujourd’hui, un tiers des lignes TGV françaises sont bénéficiaires, un tiers à l’équilibre et un tiers déficitaires, souvent celles qui desservent les zones rurales. Si les nouveaux entrants se concentrent sur les trajets rentables, qui financera les dessertes essentielles à l’aménagement du territoire ?
Le risque est réel : moins d’investissements publics, des taux bancaires plus élevés pour les opérateurs privés et la tentation de supprimer certaines lignes pourraient accentuer les inégalités territoriales. L’expérience britannique montre que la privatisation totale du rail peut provoquer des hausses de tarifs et une chute des investissements. En France, si les lignes déficitaires sont abandonnées, il faudra compenser par des subventions publiques ou une hausse des tarifs ailleurs.
Le système ferroviaire repose sur une infrastructure lourde et coûteuse : 5 milliards d’euros d’entretien par an, auxquels s’ajouteraient 1,5 milliard nécessaires pour moderniser un réseau dont l’âge moyen atteint 33 ans contre 17 ans en Allemagne. Chaque kilomètre de ligne à grande vitesse coûte entre 15 et 30 millions d’euros à construire et jusqu’à 100 000 euros par an à entretenir, sans oublier un péage moyen de 9,50 € par kilomètre, répercuté sur le prix des billets.
Colonne vertébrale d'un futur bas-carbone
Encore une fois, le rail reste le mode de transport le plus sobre en carbone sur longue distance : jusqu’à 100 fois moins émetteur que l’avion pour le fret, et 50 fois moins pour les passagers. Mais sa part dans le transport de marchandises français stagne à 10 %, deux fois moins qu’il y a vingt ans.
L’avenir climatique du rail dépendra donc des choix politiques et économiques à venir. La concurrence ne suffira pas à « verdir » le secteur si les investissements publics ne suivent pas. Sans réseau modernisé ni péages adaptés, le risque est de voir un rail à deux vitesses : rentable sur les axes majeurs, marginal ailleurs
Références de l'article
Déplacements Pros. (2025, 3 août). Dossier de l’été – La fin du monopole de la SNCF en France.
Fainsilber, D. (2025, 5 novembre). TER, TGV : la concurrence dans le train français va faire rage en 2026. Le Figaro.
Nice Presse. (2025). Transports en trains : TGV, TER… la SNCF revoit toute son organisation pour se rapprocher des voyageurs et rester dans la course européenne.
Renassia, S. (2025, 5 avril). Pourquoi le train est-il si cher en France ? La réponse d’Alexis Chailloux (Réseau Action Climat). HOURRAIL