Colère des agriculteurs : qu'est-ce que la jachère, si décriée et pourtant essentielle ?

C'était l'un des points de crispation qui secouaient le monde agricole : l'application de la "norme jachère", établie par l'Union européenne. Celle-ci, face à la colère, a encore été repoussée par les autorités de Bruxelles. Pourtant, cette obligation décriée est essentielle pour les sols et la biodiversité.

Champ jachère agriculture blé
L'exemple d'une jachère, ici sous la forme d'une terre laissée temporairement sans plantation, à côté d'un champ de blé. Laisser une terre au repos permet à la nature de se régénérer, gratuitement.

Satisfaction du côté des agriculteurs en colère, moins du côté des défenseurs de l'environnement : après validation par le Conseil européen hier, la Commission européenne a prolongé d'un an la dérogation permettant aux agriculteurs de ne pas laisser 4% de leurs terres en jachère. En quoi consiste cette "norme jachère" ? Pourquoi est-elle si critiquée ? Quels sont ses impacts sur nos sols ?

La jachère, késako ?

La jachère, c'est un morceau de parcelle sur lequel il est interdit de cultiver, d'entreposer des engins agricoles ou des bottes de paille, ou encore de faire paître du bétail. Pour autant, dans sa définition de la jachère, l'Union européenne impose d'y planter un couvert végétal (herbe, fleurs), pour ne pas laisser la terre nue. Ainsi, les haies, les mares, les arbres ou les bandes tampons sont considérés comme des jachères.

Dans le Pacte Vert adopté par l'UE pour 2023-2027, la nouvelle politique agricole commune (PAC) conditionne le versement des aides aux agriculteurs au respect de plusieurs normes (certains diront contraintes) environnementales, dont celle dite de la jachère : chaque exploitant agricole disposant de plus de 10 hectares de terres doit laisser au repos 4% de ses terres cultivables. Paradoxalement, s'il cultive ces 4% de terres, il n'est pas payé !

Prévue pour être appliquée au 1er janvier 2022, la "norme jachère" avait déjà été repoussée deux fois d'un an, en raison de la crise agricole liée à la guerre en Ukraine. La Commission européenne vient donc à nouveau de repousser le délai d'application d'un an, au 1er janvier 2025, satisfaisant certains syndicats agricoles, en France (la FNSEA et Coordination Rurale) mais aussi dans toute l'Europe.

Protéger nos sols et la biodiversité

Pourtant, les règles de la PAC limitent ces dérogations à deux années consécutives. La Commission européenne a donc conditionné cette nouvelle dérogation, dite partielle, à un minimum de 7% de cultures intermédiaires ou fixatrices d'azote pour les agriculteurs qui souhaiteraient renoncer aux 4% de jachère. Il s'agit de cultures telles que les radis fourragers, les lentilles, les pois, sans usage de produits phytosanitaires.

Le premier objectif de cette "norme jachère" est pourtant louable : il s'agit de protéger la biodiversité, que l'agriculture intensive abîme. Depuis 1950 en France, 1,4 million de kilomètres de haies ont été arrachés. En Europe, alors que plus de 80% des écosystèmes naturels sont en mauvais état, la population d'insectes a diminué de 80% depuis 1990.

Dans des écosystèmes tels que les haies, les bosquets ou les mares, la biodiversité se développe, l'eau est stockée grâce à la végétation, les insectes fertilisent les fleurs, les vers de terre enrichissent les sols... Bref, la nature se régénère gratuitement et l'épuisement des sols est ainsi freiné ou évité. Au-delà de la vision bucolique d'une bande de fleurs, la jachère et la biodiversité associée sont essentielles pour la fertilité des terres et la durabilité du système agricole.

Une baisse de revenus : oui, mais...

Evidemment, certains agriculteurs, notamment chez la FNSEA et Coordination Rurale en France, n'ont pas la même vision. Eux dénoncent une contrainte environnementale de plus, un risque pour la souveraineté alimentaire du pays, et pointent un impact sur leur chiffre d'affaires, donc une baisse de revenus à la clé.

Ce sont en réalité surtout les grandes exploitations de céréales avec leurs immenses champs qui sont touchées : elles doivent s'adapter vite et laisser des parcelles en jachère simple, sans couvert, alors que les élevages sont souvent déjà dotés de prairies et de haies et sont donc généralement conformes aux 4%.

D'autres syndicats agricoles, comme la Confédération Paysanne, ne l'entendent pas de cette oreille, en plaidant pour le maintien de cette "norme jachère", considérée comme une bonne mesure pour s'adapter au changement climatique et pour pérenniser les cultures en protégeant les sols. 2025 est donc le nouvel horizon des agriculteurs, alors que la stratégie européenne "De la ferme à la fourchette" prévoit 10% de jachères en 2030. Un objectif socialement tenable ?

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