Agriculture française : jusqu'où va notre dépendance alimentaire ?

Derrière l’image d’un grenier de l’Europe, l’agriculture française dépend de plus en plus de l’étranger : importations, intrants, eau. Peut-on encore reconquérir notre souveraineté alimentaire ?

Plateau de fromages rustiques avec raisins, pain et vin pour une gourmandise.
Plateau de fromages rustiques avec raisins, pain et vin pour une gourmandise.

La France aime à se présenter comme une grande puissance agricole. Avec 30 millions d’hectares de terres cultivées et une diversité unique de productions, elle reste l’un des poids lourds agricoles européens, mais sa place décline. Au total, la France importe désormais environ 20 % de sa consommation alimentaire, un chiffre qui a doublé en vingt ans, et qui atteint plus de 50 % pour certaines filières.

Une puissance agricole fragilisée

En dix ans, la France a perdu près de 22 % de ses parts de marché agricoles et alimentaires, quand les autres pays européens en perdaient seulement 5 %. Alors que l’Union européenne conserve une position largement excédentaire, l’excédent commercial français, lui, s’effrite. En 2024, il ne s’élevait plus qu’à 4,9 milliards d’euros, contre 5,3 milliards en 2023.

Concrètement, l’« excédent commercial » désigne la différence entre ce que la France exporte et ce qu’elle importe. Quand il est positif, cela signifie que nous vendons à l’étranger plus de produits que nous n’en achetons. Lorsqu’il se réduit, cela veut dire que nos importations grignotent nos exportations, et que nous devenons plus dépendants de l’extérieur.

Des assiettes qui parlent d'elles-mêmes

La dépendance se lit directement dans nos habitudes alimentaires. Moins d’un fruit sur trois consommé en France est aujourd’hui d’origine nationale. Le déficit du secteur fruits et légumes atteint près de 6 milliards d’euros. Dans l’élevage, la tendance est similaire : un tiers de la volaille consommée est importée (contre 13 % en 2000), un quart du porc, 56 % de l’agneau, et plus de la moitié de la viande bovine servie dans la restauration hors domicile.

Et les paradoxes abondent. La France produit 150 % de ses besoins en blé dur, mais importe deux tiers des pâtes qu’elle consomme. Elle exporte massivement ses céréales, mais dépend d’autres pays pour les protéines végétales destinées à ses animaux. Ces protéines végétales, ce sont par exemple le soja, les pois ou la féverole, essentielles pour nourrir les animaux d’élevage. Or, un tiers de ces apports est importé, en particulier du soja brésilien, synonyme de déforestation.

Même l’agriculture biologique illustre ce phénomène : un tiers des produits bio consommés en France est importé, notamment les fruits et légumes.

Des dépendances invisibles mais structurelles

La dépendance alimentaire ne concerne pas uniquement les produits. Elle touche aussi ce qu’on appelle les intrants agricoles, c’est-à-dire les produits utilisés pour cultiver ou élever : engrais, pesticides, carburants, aliments pour animaux. Entre 2001 et 2019, les importations d’engrais ont bondi de 75 %, passant de 1,05 à 1,84 milliard d’euros. Avec la guerre en Ukraine, leur prix a encore augmenté de 30 % en Europe, pesant lourdement sur les coûts de production et les prix alimentaires.

La question de l’eau s’ajoute à ce tableau. 14 000 captages ont disparu en quarante ans, dont 41 % à cause des pollutions agricoles. Le traitement de l’eau potable coûte désormais environ 1 milliard d’euros par an, avec des techniques de filtration reposant sur du charbon actif importé de Chine ou des États-Unis.

Une crise humaine profonde

La dépendance alimentaire se joue aussi dans les campagnes. La France ne compte plus que 400 000 agriculteurs, deux fois moins qu’à la fin des années 1980. Un sur deux partira à la retraite d’ici 2030, et un quart des exploitations pourrait disparaître dans les cinq prochaines années.

Les conditions sociales expliquent en partie ce désengagement. Un agriculteur gagne en moyenne 1 390 euros nets par mois, et 20 % déclarent un revenu nul. Entre 15 et 25 % vivent sous le seuil de pauvreté. Dans ces conditions, la souveraineté alimentaire passe aussi par une revalorisation concrète des métiers agricoles.

Le défi climatique en embuscade

Le climat pèse de plus en plus lourd dans l’équation. Chaque degré supplémentaire réduit les rendements du blé de 6 %, du riz de 3,2 % et du maïs de 7,4 %. Le climat explique déjà jusqu’à 70 % de la stagnation du rendement du blé tendre en France.

L’agriculture contribue elle-même au problème : elle représente entre 17 et 24 % de l’empreinte carbone des ménages français, juste derrière les transports. Pourtant, des alternatives existent. Selon l’INRAE, il est possible de réduire les pesticides de 42 % dans près de six exploitations sur dix sans perte de rendement ni de revenu.

Quelles pistes pour reconquérir notre souveraineté ?

La reconquête ne se fera pas par nostalgie d’une autosuffisance idéalisée, mais par des choix politiques et économiques clairs. Soutenir les filières stratégiques, comme les protéines végétales, apparaît essentiel. Selon le rapport parlementaire sur la dépendance alimentaire de la France en 2021, il faut mieux structurer ces filières, renforcer le lien entre producteurs et industries, et réorienter certaines subventions pour ne pas les baser uniquement sur la surface cultivée.

Il s’agit aussi de défendre des règles équitables. Exiger des clauses de réciprocité dans les accords commerciaux permettrait d’éviter que des produits importés, moins exigeants en termes sociaux et environnementaux, viennent concurrencer les productions françaises.

Renforcer la demande intérieure constitue un levier décisif. La souveraineté alimentaire, ce n’est pas l’autarcie, mais le droit pour un pays ou une population de choisir son système alimentaire et d’assurer une certaine autonomie face aux crises mondiales. Dans cette perspective, la restauration collective, avec ses 3,5 milliards de repas annuels, peut tirer l’offre nationale vers le haut. Les circuits courts, qui représentent aujourd’hui 6 à 7 % des achats alimentaires, progressent rapidement, stimulés par le besoin de proximité exprimé lors de la pandémie.

Références de l'article

GEO et AFP. (2025, 25 septembre). Souveraineté alimentaire : les multiples dépendances françaises. GEO.

Boyer, P., & Dive, J. (2021). Rapport d’information déposé en application de l’article 145-8 du Règlement sur l’autonomie alimentaire de la France et au sein de ses territoires (N° 4786). Commission des affaires économiques. Assemblée nationale.