Inondations catastrophiques : les scientifiques découvrent (enfin) le vrai déclencheur après 43000 tempêtes
Pluie modérée, crue majeure ? Tout dépend du sol. Une nouvelle étude change notre vision des inondations, et alerte sur un risque mal anticipé partout dans le monde.

On a cru comprendre depuis longtemps que les inondations sont une conséquence de précipitations intenses. C’était simple, presque mécanique. Mais une équipe de chercheurs américains a analysé avec une minutie remarquable 43 445 rivières atmosphériques (atmospheric rivers, AR) enregistrées entre 1980 et 2023 sur toute la façade ouest des États-Unis pour pour comprendre si les crues les plus violentes ne venaient pas seulement du ciel..
Ces rivières qui transportent des masses énormes de vapeur d’eau depuis les tropiques, sont bien connues pour leur double visage : indispensables pour recharger les nappes phréatiques, mais aussi principales responsables des crues dévastatrices de la région. Leur conclusion, publiée en juin 2025 dans Journal of Hydrometeorology, est sans équivoque : le principal déclencheur des crues catastrophiques est l’humidité du sol avant la tempête.
Une logique trop souvent ignorée ?
Lorsqu’un sol est sec, il agit comme une éponge : il absorbe, retient, freine l'eau de pluie. Mais quand il est déjà saturé, il n'en peut plus. Chaque goutte en trop ruisselle immédiatement vers les rivières, accélérant le risque d'inondation. Ce mécanisme n’est pas nouveau en soi, mais il n’avait encore jamais été quantifié avec autant de précision ni à une telle échelle.
C’est précisément ce qu’a permis cette étude menée sur 122 bassins versants de Californie, d’Oregon et de Washington. Les scientifiques ont comparé, pour chaque événement, la quantité de pluie tombée, l’intensité de la tempête et surtout le taux de saturation du sol la veille. Dans 89 % des cas, ils ont pu identifier un seuil critique propre à chaque bassin, au-delà duquel le sol perd sa capacité d’absorption.
Là où la démonstration devient frappante, c’est dans la mesure de l’impact : un sol saturé peut multiplier par 2 à 4,5 le débit des cours d’eau pour une même quantité de précipitations. Ce n’est pas une amplification marginale. Ce n’est pas un simple facteur aggravant, c’est un changement de dynamique.
En d’autres termes, une tempête modérée peut devenir dangereusement destructrice si elle frappe un sol détrempé, tandis qu’une AR violente peut ne causer que peu de dégâts si elle survient sur un sol sec. Cette relation est dite non linéaire, car passée une certaine saturation, généralement située autour de 60 à 70 %, le sol se comporte presque comme une surface imperméable.
Méthode rigoureuse
L’originalité et la rigueur de l’étude viennent de sa méthodologie hybride, combinant observations hydrologiques du USGS, catalogues d’AR, et modélisation fine de l’humidité des sols avec le système WLDAS (Western Land Data Assimilation System), capable de restituer l’humidité sur quatre couches jusqu’à deux mètres de profondeur.
Les chercheurs ont ainsi pu reconstituer avec une résolution de 1km2 les conditions du sol pendant plus de 40 ans. Les régions les plus sensibles sont celles où les sols sont peu profonds, argileux, et où le climat est sec avec une forte évaporation. C’est le cas de nombreuses zones de Californie et du sud de l’Oregon.
À l’inverse, dans les régions plus humides comme l’État de Washington, les sols plus profonds et souvent enneigés ont une meilleure capacité de stockage. Les inondations y sont moins influencées par l’humidité du sol car celui-ci reste stable au fil de la saison froide.
Et ailleurs dans le monde ?
Ce mécanisme hydrologique ne s’arrête pas aux frontières américaines. Des études menées dans les quatre coins du globe confirment les mêmes effets amplificateurs liés à l’humidité des sols.
En Europe, une étude réalisée en 2019 a montré que plus de la moitié des crues majeures étaient précédées de conditions de sols humides, en particulier dans les Alpes, les Pyrénées et les Balkans.
En Chine, une étude a identifié un effet de seuil comparable, avec des crues multipliées par trois dans les plaines centrales lorsque les pluies succèdent à une période humide. En Inde, des scientifiques ont observé que les crues de mousson étaient bien plus destructrices dans les zones déjà saturées, surtout en milieu urbain où l’infiltration est quasi nulle.
Un outil de prévision à reconsidérer
Jusqu’ici, la prévision des crues reposait surtout sur l’intensité attendue des tempêtes. Toutefois, cette étude montre que sans intégrer l’humidité du sol, ces prévisions peuvent largement sous-estimer le risque.
Sur les 122 bassins étudiés, seuls six disposent de stations de mesure dédiées à l’humidité des sols. Un énorme décalage entre les enjeux et les outils disponibles.
Références de l'article
Berghuijs, W. R., et al. (2019). The relative importance of different flood-generating mechanisms across Europe. Water Resour. Res. https://doi.org/10.1029/2019WR024841
Webb, M. J. et al. (2025). Wet Antecedent Soil Moisture Increases Atmospheric River Streamflow Magnitudes Nonlinearly. Journal of Hydrometeorology. https://doi.org/10.1175/JHM-D-24-0078.1