Sommes-nous déjà entrés dans l'ère du "réchauffement turbo" ?
Hausse des températures, océans en surchauffe, déséquilibre énergétique… Le climat semble s'emballer. Sommes-nous en train d'entrer dans une nouvelle phase du réchauffement global ?

Depuis 2023, les signaux s’affolent. Record de chaleur en surface, océans qui emmagasinent plus de chaleur que jamais, déséquilibre énergétique de la planète qui s’accentue. Le tout à un rythme qui semble plus rapide que ce que les modèles prévoyaient.
Pour Zeke Hausfather, climatologue et chercheur renommé, le monde ne se contente plus de se réchauffer. Il se réchauffe plus vite. Et les preuves de cette accélération sont devenues "trop nombreuses pour être ignorées".
Des températures hors normes
Le réchauffement global depuis 1970 s'établit en moyenne à 0,19°C par décennie. Pourtant, depuis 2010, la cadence semble s’intensifier de manière fulgurante. D’après les données de Berkeley Earth, trois années récentes, 2016, 2023 et 2024, ont dépassé la plage de confiance à 95 % de cette tendance historique. C’est-à-dire qu’elles sont bien plus chaudes que ce que la trajectoire passée permettait d’anticiper.
Et même si des phénomènes naturels comme El Niño ou La Niña influencent ces chiffres à court terme, des méthodes statistiques plus robustes, comme les ajustements de Rahmstorf et Foster qui retirent cette variabilité confirment : l’accélération devient statistiquement significative.
Le thermomètre le plus fiable : l'océan
Les températures de surface ne représentent qu’une infime partie (moins de 5 %) de la chaleur réellement piégée sur Terre. Les océans, eux, absorbent plus de 90 % de cette énergie.
Les données de l’Institut chinois de physique atmosphérique montrent une augmentation spectaculaire de la chaleur océanique, mesurée en zettajoules (ZJ). Depuis 2020, l’accumulation annuelle dépasse les 15 ZJ, soit 25 % de plus qu’aux alentours de l’an 2000, qui constituait déjà un pic.
Contrairement aux températures de surface, l’océan enregistre ces hausses de manière quasi continue, renforçant la crédibilité du signal.
Déséquilibre énergétique
Autre indicateur essentiel : le déséquilibre énergétique de la Terre (EEI), c’est-à-dire la différence entre l’énergie solaire reçue et celle renvoyée dans l’espace. Aujourd’hui, ce déséquilibre croît à un rythme d’environ +0,45 W/m2 par décennie, un chiffre bien supérieur aux attentes des modèles climatiques.
C’est un peu comme si notre planète continuait de recevoir de la chaleur sans réussir à s’en débarrasser. Par conséquent, la Terre "stocke" de plus en plus d’énergie. Une dynamique parfaitement cohérente avec un réchauffement accéléré.
Des modèles qui confirment l'accélération
Les modèles climatiques ne sont pas dépassés. En fait, ils anticipaient cette accélération, en particulier dans les scénarios "politiques inchangées" (comme le SSP2-4.5). Par exemple, les projections du GIEC montrent un réchauffement de 0,24 °C par décennie, là où les observations récentes atteignent déjà 0,2 °C.
Selon les experts, cette hausse s'explique en grande partie à un phénomène contre-intuitif : la réduction des émissions d'aérosols, notamment de dioxyde de soufre.

En effet, les aérosols, qui sont des particules issues en grande partie de la combustion du charbon et du pétrole, reflètent une part du rayonnement solaire. En les réduisant (notamment via les politiques de qualité de l’air), on réduit cet effet refroidissant masqué, révélant plus pleinement le réchauffement causé par les gaz à effet de serre comme le CO2. C’est ce qu’on appelle "le démasquage du réchauffement".
Dans les années 2000, certains scientifiques ont trop vite conclu à un "ralentissement du réchauffement", en se basant sur des données trop courtes. Aujourd’hui, la prudence reste de mise, mais les indices sont bien plus solides.
Cette "consilience des preuves", montrant une convergence d’indicateurs indépendants (températures de surface, chaleur océanique, modèles climatiques, EEI), donne du poids à l’hypothèse d’une accélération réelle.
Ce que cela change pour nous
Ce changement de rythme, s’il se confirme, a des implications lourdes :
- Les risques climatiques frapperont plus tôt et plus fort que prévu : vagues de chaleur, méga-feux, inondations, sécheresses.

- Les villes et entreprises doivent accélérer leur adaptation en conséquence : infrastructures résilientes, systèmes de refroidissement, protections côtières...
- Les modèles économiques de risques climatiques doivent être mis à jour : beaucoup reposent encore sur une hypothèse de réchauffement linéaire.
- Les technologies climatiques innovantes deviennent cruciales : captage du carbone, énergie bas-carbone, alertes précoces, etc.
Ne pas intégrer cette accélération dans les modèles de risque, c’est s’exposer à des dégâts imprévus et à des responsabilités légales. Cette urgence peut stimuler l’innovation, rendre plus évidente la transition, faire émerger des solutions inédites et encourager les investissements durables.
Sources de l'article
Hausfather, Z. (2025, 30 juin). The great acceleration debate: Why the consilience of evidence points toward acceleration. The Climate Brink.
The New York Times. (2025, 26 juin). The world is warming up. And it's happening faster.