Le système de santé français pèse 8% des émissions du pays : comment l'alléger sans nuire à la qualité des soins ?

Soigner pollue. À l’heure où la France vise la neutralité carbone, le secteur de la santé, responsable de 8 % des émissions nationales, doit aussi se transformer. Mais comment ?

Le secteur de la santé en France génère à lui seul près de 8 % des émissions nationales.
Le secteur de la santé en France génère à lui seul près de 8 % des émissions nationales.

On l’imagine avant tout comme une mission de soins, de guérison et d’humanité. Cependant, le système de santé français émet chaque année près de 49 millions de tonnes de CO2, soit environ 6 à 8 % des émissions nationales. C’est autant que les secteurs du transport aérien intérieur et de l’agriculture combinés.

La bonne nouvelle ? Il est tout à fait possible de diviser par trois à quatre les émissions de ce secteur à horizon 2050, sans compromettre la qualité ni l’accessibilité des soins. Encore faut-il s’attaquer aux bons leviers, et vite.

Une empreinte discrète, mais massive

L’impact environnemental du secteur vient surtout de deux catégories de produits : les médicaments et les dispositifs médicaux. Ensemble, ils représentent près de 2,5% de l’empreinte carbone de notre système de santé. C’est plus que l’empreinte carbone des habitants de la métropole de Lyon.

Si les médicaments sont bien connus du grand public, les dispositifs médicaux recouvrent une impressionnante diversité : gants, seringues, implants, fauteuils roulants, IRM, lunettes, pansements, couches, etc. Rien que leur consommation en France représentait 21 milliards d’euros en 2023.

Pourquoi tant d'émission ?

Parce que la fabrication de ces produits est intensément consommatrice d’énergie, souvent d’origine fossile, et repose sur une chaîne de valeur mondialisée. Par exemple, 60 à 80 % des principes actifs utilisés dans les médicaments consommés en France sont fabriqués en Asie, notamment en Inde et en Chine.

Ces usines tournent au charbon, au gaz, et utilisent vapeur et électricité à foison : 85 % des émissions liées à ces principes actifs proviennent directement de cette consommation énergétique.

Les dispositifs médicaux n’échappent pas à cette logique. Leur production mobilise plastique, métaux, électronique, emballages, souvent issus du pétrole, sans compter le transport aérien qui, pour certains instruments, peut représenter jusqu’à 20 % de l’empreinte carbone du produit final.

Alors, que faire ?

Faut-il réduire les soins pour sauver le climat ? Non, bien évidemment. Mais il existe des marges de manœuvre importantes, sans compromettre la qualité des soins.

Parmi elles : la relocalisation de certaines productions. Le Shift Project montre qu’à technologie constante, produire un médicament en France plutôt qu’en Chine divise par deux les émissions liées à sa fabrication. Un levier doublement vertueux : pour le climat, mais aussi pour notre souveraineté sanitaire.

Autre piste, peu coûteuse mais puissante : mesurer pour agir. L’idée serait de

"conditionner les remboursements de l’Assurance Maladie à la fourniture d’un bilan carbone produit par les industriels", rapporte Jean-Marc Jancovici, président de The Shift Project.

Une forme de “prescription responsable”, alignée avec les objectifs climatiques du pays.

Réutiliser, recycler, réinventer

Il est également temps de rompre avec le tout-jetable. Aujourd’hui, 2 milliards de gants à usage unique sont consommés chaque année dans les hôpitaux français. Encourager la réutilisation des instruments stérilisables, ou le retraitement sécurisé de certains dispositifs à usage unique permettrait des gains immédiats. La Belgique ou l’Allemagne ont déjà amorcé ce virage.

Le transport aérien pourrait aussi être remplacé par des modes moins carbonés dans les achats hospitaliers, en intégrant des critères environnementaux dans les appels d’offres ( au moins 10% des critères), jusqu’à interdire le fret aérien pour les équipements où c’est évitable, selon le Shift Project.

Le rapport propose même de recourir à des outils innovants comme les jumeaux numériques pour limiter les déplacements en études cliniques et réduire de 20 à 50 % la taille des cohortes de patients, tout en conservant la rigueur scientifique.

Santé et climat, un même combat !

Il est essentiel de comprendre que décarboner la santé n’est pas une lubie d’écologistes. C’est une question de résilience collective. Un système de soins qui dépend massivement du charbon asiatique ou du pétrole pour livrer ses instruments n’est ni pérenne ni sûr dans un monde en tension énergétique.

La trajectoire proposée par le Shift Project vise une réduction de 69% des émissions des industries de santé d’ici 2050. Cela passe par des changements profonds mais réalistes, intégrant tous les acteurs : industriels, soignants, patients et décideurs publics.

Référence de l'article :

The Shift Project. (2025). Décarbonons les industries des dispositifs médicaux – Rapport final.